vendredi 23 décembre 2011

SUR LE VIF

Je suis tombé avec amusement sur cette résolution pour 2012 de Frederic Fortin sur le blogue de la SAQ:

" En ce qui me concerne, je m’engage à redécouvrir les vins du Nouveau Monde et à le faire, cette fois-ci, sans a priori négatif ou préjugé défavorable."

Il faut dire que M. Fortin revient d'un voyage au Chili, qui comptait aussi la sommelière Jessica Harnois, et dont j'ai parlé récemment, elle qui s'émerveillait à propos de Vina Vik. J'aime la résolution de M. Fortin, mais j'aime surtout le fait qu'il reconnaisse avoir des préjugés défavorables à l'égard des vins du Nouveau-Monde. J'aime aussi que ce soit un voyage au Chili qui lui ait permis de s'ouvrir les yeux sur la diversité des vins de ces pays. Toutefois, s'il faut que chaque amateur se rende au Chili pour voir les vins de ce pays différemment, la situation n'est pas à la veille de changer. Pas besoin d'aller au Chili pour apprendre que ce pays compte aujourd'hui une grande variété de terroirs et que cela se reflète de plus en plus dans ses vins. On peut se contenter de consulter mon blogue... mais c'est certain que ça n'a pas le charme d'un voyage au Chili. M. Fortin ajoute même que des vins chiliens peuvent rivaliser avec les grands vins bordelais et toscans. C'est pas moi qui le dit...

Moi pour 2012 je n'ai pas de résolution, mais plutôt un souhait. Celui de voir la SAQ améliorer son offre de vins chiliens pour mieux rendre compte des progrès de ce pays. Cette offre s'est bonifiée au cours des dernières années, mais elle est encore loin d'être un reflet fidèle du Chili vinicole actuel. Celui qui peut susciter des conversions. Amener le meilleur du Chili à ceux qui ne peuvent s'y rendre. Voilà une autre façon de faire tomber des préjugés défavorables.


24 Décembre


Une de mes idées fixes à propos du vin est que si on est prêt à laisser l'aspect prestige de côté, il y a moyen de très bien boire à une fraction du prix. Toutes les dégustations à l'aveugle démontrent cela, mais il y a une très forte résistance chez l'amateur passionné à admettre ce fait. C'est compréhensible, quand on décide de payer plus cher pour une appellation spécifique, il est difficile d'admettre que cette prime est essentiellement reliée au prestige de l'étiquette. La dernière chronique de Nick Hamilton rapporte ses résultats de dégustation à l'aveugle dans la catégorie des vins mousseux. Sa conclusion, le Champagne est un vin mousseux cher, au RQP décevant, et pour lequel il y a de meilleures alternatives si on est prêt à ne pas avoir l'appellation Champagne inscrite sur l'étiquette.


Article de Jacques Benoît

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samedi 17 décembre 2011

GJE, Chadwick, et l'utilisation des mythes bordelais en dégustation à l'aveugle

Une autre controverse dans la blogosphère vin à propos d'une dégustation confrontant un vin sans prestige à certains noms mythiques de Bordeaux. Là comme dans le cas des dégustations organisées par le Chilien Eduardo Chadwick, il s'en trouve pour dénoncer le procédé et pour remettre en question cette manie de la comparaison, de la classification et de la notation. Moi je veux bien. Je pense avoir clairement établi par mes propos sur ce blogue que je suis contre la notation précise des vins et contre la classification de ceux-ci. Ceci dit, je trouve quand même ironique de dénoncer ce type de dégustation, alors que les grands noms qu'on y introduit comme référence, certains diraient faire-valoir, sont eux-mêmes issus d'un système de classification qui les place au-dessus de tout le reste. Je trouve que le système figé de classification bordelais, de par sa nature même, appelle le défi des laissés pour compte. C'est un phénomène naturel, et il serait bien plus fréquent si ce n'était du prix exorbitant des grands noms bordelais qu'il faut se procurer pour tenir ce genre de dégustation. Comme je le mentionnais dans le cas des dégustations de Chadwick, et c'est vrai aussi pour les dégustations du Grand Jury Européen (GJE), financées par Yves Vatelot, propriétaire du Château Reignac, le but de ce type d'exercice n'est pas de rabaisser les grands noms qu'on y introduit, mais bien de montrer qu'il se fait de très bons vins toujours offerts à prix raisonnables. L'exercice n'est cependant pas désintéressé, et il y a certainement un but mercantile derrière tout ça. Si la possibilité se présente par la suite d'augmenter le prix des vins qui auront bien paru, les commanditaires de ces dégustations le feront sûrement. Eduardo Chadwick en est un bon exemple, puisqu'il a gonflé le prix de son Cabernet Sauvignon, Vinedo Chadwick à 165$. S'il peut le vendre à ce prix, tant mieux pour lui. L'amateur pour sa part n'a qu'à ne pas tomber dans ce piège en se rappelant qu'on pourrait confronter des vins de 30$ au Vinedo Chadwick à l'aveugle et que là aussi il y aurait des surprises. Il y longtemps que j'ai compris ce principe, et ça explique pourquoi j'évite systématiquement les vins très chers.

vendredi 16 décembre 2011

Quelle est la cause principale de l'augmentation générale du titre alcoolique des vins?

Plus tôt cet automne j'ai lu un petit texte de Jacques Benoît, sur le site Cyberpresse, à propos de l'augmentation du taux d'alcool dans les vins depuis environ 15 ans. À ce moment je me souviens avoir pensé qu'il était totalement passé à côté en ce qui a trait aux raisons qu'il donnait pour expliquer ce phénomène. Je me demandais comment il était possible d'écrire un texte, même très court, sur ce sujet en passant tellement à côté de la véritable raison expliquant la montée du contenu en alcool des vins. Personnellement, j'avais la conviction que ce phénomène était principalement dû à la montée en popularité du principe de la maturité phénolique. Jusqu'au début des années 90, la pratique courante était de se fier au taux de sucre pour déterminer le temps propice aux vendanges. Toutefois, il arrive souvent que la montée du taux de sucre précède la maturité phénolique des raisins. Donc, dans le but d'obtenir des tanins à maturité optimale, on a commencé à cueillir plus tard, ce qui a eu pour effet de donner des raisins contenant plus de sucres et moins d'acide. La conséquence de ce choix est d'obtenir des vins plus alcooleux pour lesquels il faut souvent corriger l'acidité en ajoutant de l'acide tartrique en cours d'élaboration. Le réchauffement climatique a probablement un léger rôle dans l'histoire, mais il me semble bien moins important que la décision humaine de cueillir les raisins plus tard. En fait, le réchauffement climatique a probablement plus d'effet dans des régions où les raisins avaient traditionnellement de la difficulté à mûrir parfaitement, sauf lors de millésimes exceptionnels. Le réchauffement climatique donne donc la possibilité aux vignerons de ces régions de cueillir plus tard dans le but d'atteindre la fameuse maturité phénolique. Une possibilité qu'ils avaient rarement auparavant. Le réchauffement climatique ouvre donc une possibilité, mais les vignerons pourraient toujours décider de cueillir plus tôt s'ils le désiraient vraiment, mais face à la nouvelle possibilité, ils optent souvent pour des tanins plus mûrs et un taux d'alcool plus élevé. Donc, au-delà du réchauffement du climat, la possibilité de choisir de l'homme derrière le vin demeure.

Un bel exemple de cela est celui donné dans cet article à propos du cheminement du "winemaker" chilien Marcelo Retamal qui œuvre pour Vina De Martino. On y dépeint son parcours des 15 dernières années dans la vallée de Maipo avec le cépage Carmenère. Pour sa première cuvée de Carmenère en 1996, Retamal a choisi de vendanger le 23 mars et il a obtenu un vin qui titrait à 12.3% d'alcool. Un titre alcoolique qui n'existe plus aujourd'hui au Chili pour des vins rouges. Par la suite, Retamal a progressivement repoussé la date des vendanges et le titre alcoolique de ses vins a augmenté en parallèle pour atteindre 14.8% en 2003, avec des vendanges retardées de six semaines et demi et ayant eu lieu aussi tard que le 10 mai. Le fait de repousser autant les vendanges a aussi entraîné le besoin de corriger l'acidité des vins par ajout d'acide tartrique. S'étant rendu à l'extrême, Retamal a ensuite cherché un juste milieu en vendangeant trois semaines plus tôt, soit vers le 20 avril. Cette décision a ramené les taux d'alcool dans la fenêtre des 13-14%, sans besoin de corriger l'acidité. Bien sûr, même dans Maipo il y a des années plus chaudes que d'autres, la date des vendanges peut donc varier d'une année à l'autre pour une maturité similaire du raisin. Mais il est clair que le taux d'alcool est généralement inféodé à la date des vendanges. Si Retamal décidait de nouveau de cueillir ses raisins le 23 mars, le taux d'alcool de son vin retournerait dans les alentours de 12%, comme en 1996.


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jeudi 15 décembre 2011

SUR LE VIF

Pour faire suite à l'information de Nicolas dans le sujet "Un rêve de milliardaire". Voici des liens ici et ici à propos du voyage de Jessica Harnois au Chili en compagnie de trois autres québécois. Rien de neuf pour un "nerd" du Chili comme moi, ça reste à la surface des choses, mais ça pourra intéresser certains amateurs qui suivent ce qui se passe au Chili de moins près que moi. C'est bien de voir une professionnelle reconnue parler positivement des vins de ce pays. Toutefois, j'aurais aimé qu'elle parle plus de producteurs qui font des vins de prix abordable. S'ébaubir devant du Vina Vik de jeunes vignes à 100$ la bouteille, c'est compréhensible jusqu'à un certain point. Ce projet est vraiment particulier et le voir de ses yeux doit être une très belle expérience. Toutefois, le Chili c'est beaucoup plus que ça. Je n'aime pas la hiérarchie vinicole à l'européenne, car pour moi avec le prestige, le prix fort, les gros scores, ça distord tout ce qui est à échelle plus humaine et qui ne joue pas le carte des gros dollars. J'ai peur que Vina Vik devienne le début de ça pour le Chili. Un vignoble de quelques années au milieu de la nature, un vin à 100$ la bouteille en partant, des gros scores, l'amplitude du projet au budget pratiquement illimité et le milliardaire derrière tout ça.  Je n'ai rien contre le fait que ça existe. Je suis même pour car c'est un projet axé totalement sur la qualité. C'est juste que cette maladie, la "dollarite prestigieuse", comme le phylloxéra, avait épargné le Chili jusqu'à maintenant. C'est d'ailleurs pour moi ce qui fait une bonne partie de son charme. Alors d'un point de vue égoïste je voudrais que ça demeure ainsi, même si un projet comme Vina Vik va immanquablement attirer l'attention et frapper l'imagination. Plus ça va et plus le monde du vin semble se polariser entre le modèle grand château bordelais et le modèle minimaliste du genre vin d'artisan amant de la nature. Le vin normal, celui situé entre ces extrêmes et bu par la majorité des amateurs semble maintenant trop commun pour qu'on se passionne à son propos.


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dimanche 11 décembre 2011

SIJNN, 2007, SWELLENDAM, MALAGAS WINE COMPANY




Peter Trafford qu'on connaît ici au Québec pour ses vins de la gamme De Trafford, issus de la région de Stellenbosch, est un des partenaires de ce nouveau projet et en est le vinificateur. Ce vin a été produit à partir de très jeunes vignes plantées en 2004 dans la région de Malagas, près des rives de la rivière Breede. Cette région est située à quelques kilomètres de l'océan. C'est un assemblage inusité composé de Syrah (42%), Mourvèdre (26%), Touriga Nacional (21%), Trincadeira (10%) et de 1% de Cabernet Sauvignon. Différents clones de ces cépages ont été greffés sur une variété de porte-greffes résistants à la sécheresse, ce qui permet de limiter l'irrigation dans cette zone relativement aride. Les raisins sont ramenés par camion réfrigéré aux installation de De Trafford à Stellenbosch pour y être vinifiés. La FA a lieu avec des levures indigènes et la FML en barriques de chêne. Le vin est élevé 18 mois en barriques de chêne français de 225 L et 700 L et 30% du bois utilisé est neuf, totalement dans les grandes barriques de 700L. Le vin n'est pas collé, ni filtré, mais adéquatement sulfité. Il titre à 14.5% d'alcool pour un pH de 3.77. Il est bien sec avec 2.2 gammes par litre de sucres résiduels.

La robe est foncée et opaque. Au nez les arômes sont modérément intenses. On y dénote de la cerise, du fruit noir, des épices orientales et un arôme particulier que j'associe au cépage Mourvèdre et ce n'est pas un arôme phénolé dû aux levures Brettanomyces. En guise de complément on retrouve aussi des notes légèrement vanillées, ainsi qu'un subtil aspect torréfié. En bouche la matière est à la fois dense et généreuse, la structure compacte et le fruité intense. Un trait d'amertume contribue à l'équilibre d'ensemble, alors que des notes épicées viennent enrichir la palette de saveurs. Le milieu de bouche confirme la droiture et la bonne présence du vin, avec tout ce qu'il faut de concentration et aucune impression de lourdeur. La finale est intense et harmonieuse et présente une bonne persistance.

Ceux qui me lisent avec régularité connaissent mon intérêt pour le développement de nouveaux terroirs au Chili. C'est ce même aspect pionnier qui m'a donné le goût de goûter ce vin. Je suis toujours surpris de la qualité qui peut être atteinte lors du premier millésime issu de ces nouveaux vignobles, avec des vignes de seulement trois ans d'âge. Au moment où je complète ce texte je déguste un Chardonnay chilien issu lui aussi de vignes de trois ans, et la qualité est franchement étonnante. Vous aurez donc compris que j'ai bien apprécié ce Sijnn, 2007. Je l'ai apprécié comme un vin à part entière, pas parce qu'il est issu de très jeunes vignes. Je l'ai bu sur trois jours et le premier jour le caractère particulier du Mourvèdre était à l'avant-plan. Cet aspect est disparu les jours suivants et l'assemblage a repris le dessus. Une autre chose que j'ai remarqué avec ce vin, c'est le côté propre de son profil aromatique, sans déviance. Une preuve qu'on peut être un adepte de l'approche peu interventionniste, comme l'est Peter Trafford, et produire des vins qui sont tout de même intègres aromatiquement. Je pense que l'usage raisonné des sulfites y est pour quelque chose. Ceci dit, je demeure dubitatif face à l'apport aromatique des levures indigènes, même dans des vins jeunes comme celui-ci. Quand la fermentation demeure sous contrôle, il n'y a pas vraiment de différence par rapport à ce qui peut être obtenu avec des levures sélectionnées. Ça me semble une prise de risque inutile. Le caractère particulier possible venant des levures indigènes me semble plutôt relever de la perte de contrôle des fermentations, lorsque Sacharomyces cerevisiae ne domine pas l'activité fermentaire comme elle le devrait, et alors il ne faut pas parler de complexité ajoutée, mais plutôt de déviance. Au-delà de ces considérations, ce Sijnn est un vin qu'il vaut la peine de découvrir. À 32$ la bouteille ce n'est pas ce que je considère une véritable aubaine, mais le prix me semble tout à fait honnête par rapport à la qualité offerte. Une belle façon de découvrir ce qui se fait de neuf hors de l'Europe, en évitant les clichés trop souvent associés aux vins du Nouveau-Monde en général.



mardi 6 décembre 2011

Les détenteurs de la vérité

Je suis tombé ce matin sur un autre article délirant du blogueur britannique Jaimie Goode qui décrit qui sont les gens qui sont en mesure de déclarer un vin comme fin et grand. Voici le paragraphe déterminant de son texte:

"I’ve noticed that in recent years a new generation of wine people have emerged who seem to get wine – a group that encompasses winemakers, retailers, critics and agents. They have a more-or-less shared taste, in that they prefer elegance over power, dislike over-ripeness, delight in wines that express a sense of place, aren’t afraid to explore new flavours and lesser known regions, and at the same time respect the classic European fine wines."

Donc, en d'autres termes, pour juger si un vin est grand ou fin, il faut être un professionnel du vin, mais pas n'importe lequel, un professionnel qui souscrit à une certaine vision et à une certaine esthétique du vin.

Ce genre de propos me dégoûte. Jaimie Goode est un blogueur qui est en train de se radicaliser et de s'enfermer dans un carcan idéologique. Mais ce qu'il y a de bien avec les gens sectaires, c'est qu'ils n'ont pas peur de déclarer ouvertement qu'ils pensent posséder la vérité. Au moins cela a le mérite d'être clair. Ordinairement les professionnels du vin ne sont pas aussi directs avec les amateurs. On ressort les clichés. On dit au consommateur que ce qui compte c'est de développer son propre goût. Qu'il n'y a pas de goûts supérieurs à d'autres. Certains de ces professionnels du vin sont sincères lorsqu'ils y vont de ces affirmations. Mais une bonne partie d'entre eux pensent au contraire qu'il faut apprendre le vrai goût, et que seulement certains chemins y mènent, en autant qu'on les fréquentent suffisamment. Ce qui est vrai pour des professionnels l'est aussi pour certains amateurs qui pensent avoir assez fréquenté les passages obligés pour pouvoir distinguer ce qui est vraiment bon et vraiment fin de ce qui ne l'est pas. Ces gens sont convaincus de faire partie d'une caste d'initiés qui a gagné son droit d'entrée au Saint des Saints de la chose vinique. Ces gens déconsidéreront l'opinion de celui qu'ils jugeront comme un non initié. Celui qui selon eux n'aura pas suffisamment parcourus les chemins prescrits. Ceux qui donnent le droit d'entrer dans le groupe des détenteurs de la vérité.

Personnellement, je n'ai jamais eu envie de faire partie de ces Chevaliers de Colomb de la bouteille, et de passer leurs rites d'initiation. Je n'ai jamais eu envie de montrer patte blanche et de me conformer à leurs diktats. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai créé ce blogue. Pour pouvoir exprimer ma pensée en toute liberté, sans l'imposer et sans prétendre que je détiens la vérité absolue. J'ai créé ce blogue parce que je fréquente souvent d'autres chemins que les fameux passages obligés, et que cela me permet parfois d'avoir une perspective différente des choses, où les effets de contraste sont inversés. Finalement, je tiens un blogue parce qu'il est réconfortant de savoir que ceux qui me lisent le font par choix, et qu'ainsi, eux aussi exercent leur liberté. Si j'étais un détenteur de la vérité, je ne tiendrais pas de blogue, car on sait bien que toute vérité n'est pas bonne à dire...


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mercredi 30 novembre 2011

La prix d'une bouteille de vin est-il toujours le reflet de la qualité du liquide qu'elle contient?

Dans le passé on m'a souvent reproché d'écrire que certains vins chiliens qui m'avaient plu étaient aussi bons que des vins français vendus deux fois plus chers. C'est donc avec amusement que je suis tombé sur ce petit texte à propos de Cabernet Sauvignon, Max Reserva, 2009, Aconcagua, Vina Errazuriz. La personne qui a écrit ça est plus généreuse que moi, elle dit que ce "Max Reserva" vaut des vins vendus de deux à cinq fois plus chers, en se basant sur un prix de 20.70$. Ce vin est actuellement disponible à la SAQ pour 18.95$. Certains penseront qu'une telle affirmation manque de sérieux, pour ma part je pense qu'elle est parfaitement justifiée. J'ai ouvert une bouteille de ce vin, du millésime 1999, il y a deux semaines et je suis convaincu qu'en pure aveugle plusieurs auraient été totalement confondus. Le vin montrait un superbe profil de Cab mi-évolué, ayant perdu sa typicité chilienne de prime jeunesse pour se recentrer sur les caractéristiques du cépage. Il aurait facilement pu être pris pour un beau vin de Bordeaux.

mardi 29 novembre 2011

PINOT NOIR, GRAN CUVÉE, 2010, MUY ALTO MAIPO, VINA WILLIAM FÈVRE




J'ai ouvert ce vin dimanche passé et en le dégustant je suis tombé sur un article où William Fèvre exprime son appui au Front National de Marine LePen, tout en disant du même souffle qu'il est parti faire du vin au Chili de « Monsieur » Pinochet, au début des années 90, à cause de l'arrivée au pouvoir des socialistes en France. Disons que c'est une mauvaise coïncidence pour ouvrir une première bouteille ayant son nom sur l'étiquette, et ça mets dans de mauvaise dispositions pour la suite. Il faut dire qu'au strict plan vinique, je n'étais déjà pas dans les meilleures dispositions. Ce vin est déjà sur les tablettes de la SAQ depuis quelques millésimes et je ne l'avais jamais acheté auparavant car je ne voyais pas l'intérêt de faire du Pinot dans la chaude vallée de Maipo, même dans sa partie moins chaude du Haut-Maipo (Alto Maipo). Toutefois, des lectures récentes ont attisé ma curiosité à propos de ce producteur qui n'a aujourd'hui plus rien à voir avec William Fèvre, sauf son nom qui fut conservé, probablement pour une question de prestige dans un but commercial. Disons qu'avec la récente prise de position du bonhomme, l'image et le prestige viennent d'en prendre un coup. Ça incitera peut-être l'ancien partenaire chilien de M. Fèvre, la famille Pino qui a racheté ses parts dans l'entreprise, à changer de nom. À moins que ceux-ci partagent ses vues politiques et soient des admirateurs de Pinochet. Toujours est-il que pour revenir au vin, c'est lorsque j'ai appris la localisation exacte du vignoble d'où est issu ce vin, et l'implication de Pedro Parra, dans la réévaluation de ce qui avait été fait depuis 20 ans, que j'ai voulu donner une chance à ce vin. Le vignoble en question est situé dans le « Muy Alto Maipo », soit le très haut Maipo, situé 400 m plus haut que l'Alto Maipo et encore plus près des montagnes, sur les pentes d'un canyon enserrant la rivière Maipo. Malgré cela j'avais encore des doutes, car Parra a décidé de greffer du Cabernet Sauvignon sur les racines d'une partie du Chardonnay et du Pinot Noir qui y étaient déjà plantés. Si du Cab peut murir à cet endroit, ce n'est pas bon signe pour le Pinot Noir cultivé pas très loin, même si la nature exacte du sol peut être différente. Il n'y a rien comme goûter pour se faire une idée plus claire. Voici donc mes impressions sur ce vin où je l'avoue j'étais un peu biaisé d'avance.

La robe est de teinte rubis passablement translucide. Le nez présente les caractéristique de base du cépage avec des arômes de fraise et de cerise auxquels s'ajoutent des notes doucement épicées et légèrement torréfiées, ainsi qu'une légère pointe fraîchement végétale. En bouche, l'attaque surprend par sa vivacité et l'intensité de ses saveurs, ainsi que par une présence marquée de l'amertume. Ce surplus amer nuit à l'équilibre général du vin qui n'a pas assez de fruit et de matière pour donner équitablement le change. Ce qui fait qu'on se retrouve avec une vin intense, mais pas vraiment agréable. La finale n'arrange rien à l'affaire, l'amertume y gagnant encore en importance.

Je n'ai pas l'habitude de parler ici des vins que je n'ai pas aimés. Si j'ai décidé de commenter celui-ci, c'est qu'il me semble un exemple intéressant pour illustrer l'évolution du Chili vinicole depuis le début de sa révolution qualitative axée sur le développement de nouveaux terroirs plus frais. Comme je le disais à la fin de mon introduction, j'étais biaisé d'entrée face à ce vin, mais après m'être tapé la bouteille en entier sur trois jours, je pense que mon jugement sur celui-ci est tout de même solide, même s'il confirme mes appréhensions de départ. Je trouve que ce vin est un bel exemple de ce qui n'allait pas dans l'ancien Chili où la facilité et la prise de risque minimale étaient de mise. Même si dans ce cas-ci planter du Pinot dans les hauteur de la vallée de Maipo était déjà mieux que de le faire sur le plancher de celle-ci. Il n'en reste pas moins que ce choix était inadéquat. Cela ne veut cependant pas dire que le terroir choisi était mauvais, ce sont les cépages bourguignons qui y ont été plantés qui n'étaient pas appropriés. En ce sens, j'aimerais bien goûter le Cabernet Sauvignon qui est aujourd'hui produit à cet endroit, mais pour moi il est clair que ce terroir n'est pas compatible avec la production de Pinot Noir de grande qualité. Surtout quand on pense que ces vignes de Pinot ont de l'âge, ce qui est relativement rare au Chili pour ce cépage. On a beau vinifier méticuleusement les fruits avec le souci d'en tirer le meilleur vin possible. Il n'y a pas de substitut à la qualité de la matière première, et cette qualité est indissociable d'un mariage approprié entre le cépage et le terroir. Cette cuvée qui n'a de grand que le nom en est un exemple probant. Le vin n'est pas totalement mauvais, c'est buvable, mais sans plus. Il ne faut surtout pas se baser sur ce vin pour se faire une idée du potentiel du Pinot Noir au Chili. Les bases vinicoles de l'aventure chilienne de William Fèvre étaient aussi boiteuses que sa pensée politique. Que peut-on greffer sur des racines d'extrême droite?

lundi 28 novembre 2011

SUR LE VIF

Par l'intermédiaire de Vin Québec je suis tombé sur un texte lumineux signé Michel Bettane. Ça fait du bien de lire un ténor du journalisme vinicole remettre ainsi les pendules à l'heure, et venant d'un français c'est encore plus méritoire. Je l'ai déjà écrit, et je le répète, la France est le plus grand pays vinicole et une source d'inspiration pour le reste du monde. Mais à cause qu'on lui a tout emprunté (cépages, techniques de culture et de vinification), à part son sol, il s'est développé en France un discours extrémiste sur la notion de terroir. On a voulu tout porter au crédit de celui-ci car c'était la seule chose inamovible. Une manière de dire vous pouvez tout nous prendre, mais vous ne pourrez jamais nous rejoindre ou nous devancer, car c'est notre géographie qui est la source essentielle de la qualité française. Bien sûr ce discours est faux, la qualité des bons vins français ne tient pas qu'au lieu où ils sont produits. Il y a les hommes, l'expérience et le savoir-faire qui en découle. Là comme ailleurs, il y a la possibilité de faire des choix et de créer des choses différentes à partir de la même base.


ARCHIVES


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samedi 26 novembre 2011

COYAM, 2007, COLCHAGUA, EMILIANA ORGANICO




Ce vin est un assemblage original comprenant 38% de Syrah, 21% de Cabernet Sauvignon, 21% de Carmenere, 17% de Merlot, 2% de Petit Verdot, et 1% de Mourvedre. C'est un des premiers vins certifié biodynamique au Chili. Alvaro Espinoza le pionnier du bio et de la bioD est consultant pour l'élaboration de ce vin. Les millésimes précédents se contentaient d'être certifiés biologiques. Il est toutefois important de noter que malgré la biodynamie le vin est adéquatement sulfité.

La robe est de teinte rubis foncé opaque. Le nez est spectaculaire à l'ouverture, complexe et très expressif. Il déploie un admirable mélange d'arômes fruités, épicés, floraux, végétaux et torréfiés. La totale! Avec l'aération les choses se calment progressivement et l'ensemble olfactif se révèle alors avec plus de retenue. Les arômes de cerise et de cassis sont de très belle qualité et se marient très bien aux notes épicées évoquant la vanille, le clou de girofle et la feuille de laurier. À cela s'ajoute une touche de poivron vert et de menthol, ainsi qu'un léger trait chocolaté. La bouche reflète bien dans ses saveurs la richesse aromatique perçue au nez. Le vin a de la présence et un bel équilibre, avec une matière généreuse et éclatante. Il est très goûteux, sans tomber dans l'excès d'intensité. La structure demeure quand même assez compacte et la texture tannique est raffinée. En finale, le caractère épicé gagne en importance sur une très bonne persistance.

Mon premier contact avec ce Coyam, 2007, remonte à il y a maintenant deux ans lors de la dégustation annuelle de « Vins du Chili ». Il me semble aujourd'hui avoir perdu de son gras de bébé, se montrant sous un aspect plus dense, mais avec toujours une remarquable richesse aromatique. Il montre une complexité qui selon moi, pour un vin si jeune, est l'apanage des vrais vins d'assemblage. Je veux dire par là les vins d'assemblage où aucun cépage ne domine l'ensemble. Bien sûr, quand un vin biodynamique est d'une telle qualité, on se demande toujours si cette philosophie ésotérique n'est pas valable au fond. Curieusement, pour un excellent vin élaboré hors du cadre biodynamique, on ne se pose jamais cette question. Le mérite est alors de facto attribué au terroir et à la compétence du producteur. Je pense que dans ce cas-ci, ce n'est pas différent. J'ai goûté des vins non biodynamiques élaborés par Alvaro Espinoza, ça remonte au temps où il œuvrait encore chez Vina Carmen, et ils étaient la plupart du temps très bons. Donc, malgré l'excellence de ce Coyam, 2007, je ne deviendrai pas pour autant un croyant. Je préfère y voir le résultat du bon travail des hommes qui ont élaboré ce vin. Pour revenir au vin, en plus d'être succulent dans sa livrée de jeunesse, il me semble posséder tout ce qu'il faut pour bien évoluer en bouteille pendant de nombreuses années. Ce vin fait partie des nombreuses cuvées issues de la vallée de Colchagua qui en offrent autant que les super-cuvées très coûteuses, mais à une fraction du prix. La vallée de Colchagua excelle à produire ce type de vin (Ninquén (Montgras), Dona Bernarda (LFE), A Crux (Sutil), Vertice (Ventisquero), Quinta Generacion (Casa Silva), Primus (Veramonte).



samedi 19 novembre 2011

La nature récalcitrante

Le vin n'est pas un produit naturel. C'est une œuvre humaine. J'ai longuement expliqué ma position à ce sujet dans un texte récent. C'est donc avec un certain amusement que j'ai lu ce matin le compte-rendu que fait Bill Zacharkiw dans The Gazette de ses péripéties dans le but d'élaborer un vin de Gamay "naturel". On peut y voir qu'au-delà des principes, l'homme doit travailler très fort pour seulement espérer atteindre son but, et que la nature, pour sa part, lorsque laissée à elle-même, peut très mal travailler. Néanmoins, bravo à Bill pour l'effort, mais surtout pour avoir eu l'humilité de rapporter son aventure. Meilleure chance l'année prochaine!

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vendredi 18 novembre 2011

Autre chose que des notes de dégustation

Ces derniers temps j'ai quelque peu délaissé les comptes-rendus de dégustation pour écrire plus de textes sur différents aspects du vin. Le format du blogue a tendance à envoyer aux oubliettes les écrits passés. Après un peu plus de deux ans à écrire ici, j'ai pensé référencer les liens vers ces textes en un récapitulatif. Un travail plus long que je ne le pensais au départ, mais un coup parti... Moi qui au début craignait que ce blogue ne devienne rien d'autre qu'une suite de notes de dégustation. Je me suis aperçu en faisant cet exercice que j'avais écrit bien d'autres choses. Bien sûr il y a des thèmes récurrents, voire des idées fixes dans certains cas. Mais mon but avec ce blogue n'était pas d'écrire sur tout ce qui a rapport au vin, mais bien d'aborder ce qui m'intéresse et me préoccupe.


La garde du vin: Pourquoi insiste-t-on sur la température de 12°C?

Le vin: produit de civilisation

Quand le Chili fait perdre la raison (AJOUTS)

Phobie des sulfites? Buvez des vins plus âgés

Déficit d'image: le problème non résolu du Chili

Le Chili surprend encore à l'aveugle

La fatalité des Bretts...

Quand la technologie et la nature se rejoignent

Trouver l'Eldorado

Le vin chilien peut-il vieillir? (suite)

Aborder le vin autrement

Le pouvoir de l'étiquette et des préjugés

Vin en bouteille microbiologiquement actif et goût de bouchon: Un lien est-il possible?

Vin bouchonné: Pas toujours facile de s’y retrouver

La table est-elle vraiment l'endroit où le vin est à son mieux?

Pascal Marchand, Bio Bio et le Pinot

Pour amateurs de hors piste

Un mois sans vin

Le ciment haut de gamme

Qualité et Prix: l'exemple chilien

Qualité et Prix

Et si l'amateur était la meilleure référence pour l'amateur...

Dégustation et précision

La vérité n'est pas dans le vin

La levure génétiquement modifiée canadienne

SAQ et promo vins 90+ de James Suckling

Chardonnay: Ignorer la Bourgogne pour y aller avec l'Australie

Bordeaux, la hiérarchie, Michel Rolland et l’oenologie moderne...

Bordeaux, la hiérarchie, Michel Rolland et l’oenologie moderne... (Part II)

Sortir de mes sentiers battus

La spécificité canadienne en matière de commerce du vin

Le bon goût peut-il être subjectif?

L'Angleterre: Le tremplin du Chili vers la reconnaissance

Cap au nord: Limari et Elqui

2010: Un point tournant pour le Chili vinicole?

Importation privée de vins chiliens

Et si le phylloxéra disparaissait demain...

En matière de vin, le Québec est-il vraiment francocentriste?

En matière de vin, le Québec est-il vraiment francocentriste? (Part II)

Le vin chilien peut-il vieillir?

Sucre omniprésent dans les vins de Nouvelle-Zélande???

Le Nouveau-Chili, c'est aussi du vin de plus en plus féminin

Les attentes influencent l'expérience sensorielle lors de la dégustation du vin

Sous-représentation des vins chiliens au Canada: l'exemple britanno-colombien

Chili-Argentine: Deux réalités

Vins fabriqués et vins sérieux

L'exemple britannique

L'exemple britannique, encore

Très longue réponse à Olivier

Arômes de Brettanomyces, reflet du terroir?

Les vins blancs de l’hémisphère sud méritent plus de respect

Match comparatif de la revue CELLIER sur les bordeaux 2006

Brettanomyces et Syrah: Un élément de réflexion

Le goût québécois et l'approche européenne

Vins issus de vignes greffées et non-greffées: Une comparaison intéressante

Notes et grands millésimes

L’approche européenne

La garde du vin: Entre bonification et possible mythification

Qu’est-ce qu’un vin de garde?

Château Musar rejeté par la SAQ: Petite réflexion

Un rêve de milliardaire

Le Chili impressionne au premier concours mondial du Sauvignon

Vin et expertise

Quelle est la plus pure expression du terroir?

Malbec: Quand l'Argentine influence Cahors

Le vin sans identité

Pour mieux connaître le Chili vinicole

Brettanomyces: Un défaut?

L'importance de la dégustation à l’aveugle

Vin et économie

Vin et économie (suite)

Du ridicule du système de notation sur 100

Début de hiérarchie en Nouvelle-Zélande

Syrah, Montes Alpha, 2007 au banc d'essai du magazine CELLIER de la SAQ

Bill Zacharkiw de retour du Chili

La maturité croissante du Chili

Le vin ennuyant

Petites précisions sur mes notes de dégustation

La Syrah au Chili

Le goût: Une question de choix?

Carmenère et cuisine indienne

Pourquoi j'aime le Chili (petite suite)

RQP et garde du vin

Pourquoi j'aime le Chili

Dégustation Chili ou comment je me suis aveuglé!

Viticulture et sélection clonale au Chili

Faire du neuf avec du vieux

samedi 12 novembre 2011

La garde du vin: Pourquoi insiste-t-on sur la température de 12°C?

Le titre de mon blogue ne tient pas tant de mon intérêt pour les vins de l'hémisphère sud que de mon sentiment de ne pas percevoir le merveilleux monde du vin de la même façon que la majorité des gens qui s'y intéressent. Il faut dire que je suis un scientifique, ce n'est pas nécessairement un facteur déterminant pour orienter une vision, mais ça fait quand même partie de l'équation de base. J'ai une formation en biochimie et je travaille en chimie de synthèse de molécules bioactives dans le domaine pharmaceutique. Voilà qui devrait tout expliquer et finir d'achever ma crédibilité pour ceux que la science révulse. Toujours est-il qu'il y a des liens à faire entre le milieu pharmaceutique où j'évolue et le monde du vin. Dans ce milieu, pour tester l'efficacité d'un candidat médicament, il faut généralement procéder à des études cliniques à double insu, contrôlées par placebo. C'est-à-dire que celui qui administre, et le patient qui reçoit, ignorent tous deux si ce qui est administré est le candidat médicament, ou un placebo. Cette pratique est fondamentale dans ce milieu et pour moi il y a un parallèle à faire entre celle-ci et la dégustation en pure aveugle du vin. Le cerveau demeure de loin l'organe le plus complexe et le moins bien compris, mais il est très puissant et exerce une forte influence sur l'ensemble de la physiologie humaine, la plupart du temps à l'insu de notre conscience, mais parfois à cause de cette conscience. Un autre point très important dans le milieu pharmaceutique est la stabilité des médicaments dans le temps. Des études longues et poussées doivent être menées sur la stabilité des médicaments avant leur mise en marché. C'est un point très important pour s'assurer de la sécurité et de l'efficacité de ce que le patient va recevoir. Ces études de stabilité sont menées sur une large plage de températures, avec un suivi dans le temps, tout cela pour bien comprendre les mécanismes de dégradation et pour déterminer la température idéale de conservation d'un médicament donné. Là aussi il y a un parallèle à faire avec le vin. La stabilité de celui-ci étant reliée à sa nature et à ses conditions de garde, la plus déterminante étant la température.

Avec mes connaissances en stabilité pharmaceutique, et en ajoutant celles sur la stabilité des produits chimiques gardés au laboratoire. J'ai toujours été surpris de la température de garde fortement suggérée pour le vin de 12°C. Ma surprise ne venait pas tant de la valeur de cette température, mais de l'importance critique qu'on y accordait. Selon mon expérience 12°C me semblait un bon choix de température, mais ça ne m'était jamais apparu comme un élément critique en terme de valeur précise. D'un point de vue strictement chimique, la différence entre une garde à 12°C et une garde à 20°C, par exemple, devrait être minime. C'est toujours ce que j'ai pensé et je suis convaincu de la validité de mon point étant donné que je garde mes vins dans une cave passive où la température monte parfois jusqu'à 22°C durant la canicule estivale. Je dois toutefois préciser que la majorité de ces vins sont filtrés et adéquatement sulfités. Ceci dit, au fur et à mesure de ma progression dans le monde du vin, de mes lectures, mais surtout de mes expériences de dégustation, en particulier avec les vins européens de gamme supérieures. J'ai compris l'importance accordée au fameux 12°C et la raison pour laquelle plusieurs en parlent comme d'une nécessité. Cette température est nécessaire non pas pour ralentir l'évolution chimique des vins, mais bien pour freiner l'activité biologique des micro-organismes vivants qui dans bien des cas sont encore présents dans le contenu de la bouteille. Je dirais même que dans ces circonstances, 12°C est une température légèrement insuffisante. Quelques degrés de moins seraient encore mieux. Aussi, dans ces conditions, on comprend mieux la tradition européenne du vin très sec, les sucres résiduels pouvant servir de nutriment pour permettre l'activité des bactéries et levures vivantes toujours présentes dans de nombreuses bouteilles.

Si je parle de ce sujet aujourd'hui, c'est que dans mes lectures récentes, suite à la discussion concernant mon texte précédant. Je suis tombé sur un article très intéressant qui relate des résultats à propos de la présence de micro-organismes dans le vin en bouteille. Toutes les bouteilles analysées dans cette étude, qui comprenait des millésimes allant de 1909 à 2003, contenaient des levures et/ou des bactéries. Fait particulièrement intéressant, un type de levure s'est révélé présent dans toutes les bouteilles analysées, vous l'aurez peut-être deviné, il s'agit bien sûr des Brettanomyces! Encore et toujours ces fameuses levures qui ont si longtemps donné le fameux goût de terroir aux vins européens réputés! Avec les modes actuelles de la non filtration et du « naturel », il est certain que cette situation perdure dans beaucoup de vins, les moins industriels étant les plus susceptibles. L'ironie c'est que ce sont ces vins qui sont généralement gardés par les amateurs. Aussi, avec la diabolisation des sulfites, qui se traduit souvent par une réduction des doses ajoutées, et parfois par l'élimination complète de ce produit pour les amants de la nature, les vins contenant toujours du matériel fermentaire vivant sont encore moins stables sans l'effet bactériostatique des sulfites. C'est une raison de plus pour les garder à une température très fraîche. La réduction des doses de sulfites contribue aussi aux problèmes d'oxydation prématurée des vins. À ce sujet, il est important de noter que la garde à 12°C, ou moins, aide à garder des sulfites plus longtemps dans la bouteille, et ce faisant contribue à ralentir l'oxydation du vin. Comme je le mentionnais dans un texte précédant, les sulfites disparaissent graduellement du vin en bouteille avec le temps. Plus faible est la température du vin et plus lente sera cette dispartion, simple principe de physico-chimie. Pour les vins sulfités non stériles, la garde au frais a donc le double avantage de ralentir l'activité micro-biologique et l'oxydation du vin.

Contrairement à l'image que je peux donner, je ne suis pas dogmatique en matière de vin. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et d'avoir ses préférences. Par contre, je suis pour la divulgation de l'information pertinente permettant à l'amateur averti de faire des choix selon ses préférences. Je suis aussi pour l'honnêteté dans le discours. J'aime appeler un chat, un chat, mais c'est malheureusement très rare dans le monde du vin ou on préfère souvent enrober les choses d'une couche de mystère. La fameuse magie du terroir qu'on nous sert à toutes les sauces, très peu pour moi. Quand j'achète du yogourt, je sais qu'il contient des bactéries vivantes. Comme acheteur de vin, j'aimerais aussi le savoir car la présence de micro-organismes vivants dans une bouteille de vin a une influence déterminante sur ses propriétés face à la garde, et sur le profil aromatique qu'elle donnera à terme. C'est une information qui me semble fondamentale dans une optique de garde, mais dont pratiquement personne ne parle.


Article précédant relié à celui-ci


Brettanomyces bruxellensis : Etude Métabolique, Cinétique et Modélisation. Influence des facteurs environnementaux


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dimanche 6 novembre 2011

Le vin: produit de civilisation


Le monde du vin est un monde particulier. À cause de l'imprécision des sens olfactif et gustatif on peut dire à peu près n'importe quoi à propos d'un vin sans que ce soit facilement vérifiable pour le consommateur. Le vin devient ainsi une matière opaque à laquelle on peut prêter toutes les vertus ou tous les vices. On peut aussi invoquer de nombreuses raisons, et parfois les plus saugrenues, pour justifier ces qualités et ces défauts allégués. Pour l'amateur il est donc souvent difficile de distinguer le vrai du faux, le farfelu de ce qui est plausible et c'est pourquoi l'étiquette et les scores sont si importants dans ce monde. Cette relative difficulté à voir au travers d'un vin ce qui le constitue vraiment, et ce qui a mené à sa constitution, ouvre la porte à bien des discours justificatifs. L'incapacité de nos sens à lire complètement dans le vin ce qu'il est, et aussi le parcours ayant mener à ce qu'il est, permet d'y projeter des valeurs qui bien souvent sont étrangères au vin lui-même. De cette façon, le vin peut se retrouver relié à des visions philosophiques, voire politiques et idéologiques. Ce liquide peut ainsi être instrumentalisé pour défendre une conception plus large du monde, de la société et de l'être humain. Avec la bonne étiquette et un discours approprié, bien claironné, c'est fou le nombre d'idées qu'on peut mettre dans une bouteille de vin.

Parlant de discours idéologique bien claironné, il ne se passe pas une semaine dernièrement sans que je ne tombe sur un article à propos du vin dit naturel. Chaque fois que j'entends parler de vin "naturel" ça m'irrite, car bien sûr cette expression est un bel exemple des idées qu'on peut artificiellement mettre dans une bouteille. Le vin n'est pas un produit naturel. Le vin naturel n'a jamais existé, même pas sous forme d'intermédiaire instable menant au vinaigre. Un produit naturel est un produit venant directement de la nature. Ce n'est bien sûr pas le cas du vin. Tout le monde sait ça, ou à tout le moins, tout le monde devrait le savoir. Mais on sait aussi qu'à force de répéter un mensonge bien enrobé, on peut parfois arriver à le faire passer pour une vérité, et dans un monde du vin qui préfère souvent le rêve à la réalité, il y a des couleuvres qui sont plus faciles à faire avaler que d'autres. Je dirais même que pour un certain auditoire branché, il y a un fort appétit pour ce genre de couleuvres teintées de romantisme. Toutefois, ce qui m'embête le plus dans ce mouvement idéologique, c'est qu'en qualifiant certains vins de « naturels », on laisse sous-entendre que ceux auxquels on n'appose pas cet adjectif trompeur auraient quelque chose d'artificiel et de forcément moins bon. Il faut bien comprendre que le discours à la base de ce mouvement laisse aussi sous-entendre que ce qui vient de la nature est nécessairement bon, alors que ce qui a été touché par le main de l'homme est de ce fait plus ou moins dégradé. C'est là bien sûr un discours profondément misanthrope et paradoxal, surtout quand on pense que le vin est fait et bu par des hommes.

Ce discours prônant les vertus du naturel en matière de vin m'apparaît étroitement lié à une frange extrémiste du mouvement écologique et environnemental actuel où l'activité humaine est souvent mise en opposition avec l'intégrité de la nature. En écoutant ce discours environnementaliste, on en vient parfois à se dire que la civilisation est une bien mauvaise chose et que le seul homme qui avait vraiment sa place sur cette planète était le chasseur-cueilleur d'avant la révolution néolithique. Dans cette vision des choses, la nature ne peut être que bonne et bienveillante. Il y existe un équilibre que l'action civilisatrice de l'homme vient briser. Pourtant, la nature n'est pas toujours bonne, elle est même souvent dure et cruelle. Cependant, il est vrai qu'il y existait à l'origine un certain équilibre que la quête de l'homme pour s'extirper de sa condition animale a rompu. La civilisation est un mouvement de l'humanité contre sa condition naturelle. C'est un long geste de révolte à l'encontre de l'équilibre naturel primitif, contre une condition qui fut jugée inacceptable. Par la civilisation, l'homme a entrepris de se soustraire, autant qu'il le pouvait, aux contraintes naturelles. Pour ce faire, il a tenté de comprendre la nature pour en arriver à posséder un certain contrôle sur celle-ci. Une des premières manifestations de cette volonté de contrôle sur la nature a été le développement de l'agriculture. L'agriculture est la base de la civilisation et c'est clairement une prise de contrôle par l'homme sur une partie de la nature. Avec l'avènement de l'agriculture, l'équilibre naturel primitif était résolument brisé. Aucun produit agricole ne peut donc être qualifié de naturel car il est le fruit du contrôle de l'homme sur la nature. Le vin quant à lui est plus qu'un simple produit agricole, puisqu'il est issu de la transformation par l'homme d'un produit agricole, le raisin cultivé. L'élaboration du vin représente le premier contact de l'homme avec ce qu'on appelle aujourd'hui la biotechnologie et sans outils techniques il n'y a pas de vins possibles. Le vin est donc une création humaine où l'homme a mis la nature à son service en la contrôlant de diverses façons.

Et oui, n'en déplaise à certains, le vin et la technologie sont intimement liés, même dans ce qu'on appelle le vin naturel. Il est difficile pour moi de comprendre pourquoi le mot nature est plus séduisant pour certains que le mot technologie. La technologie relève de l'intelligence humaine, du savoir et de la science. Le technologie procure à l'homme les outils variés qui sont à la base des métiers et des arts. La technologie est aussi le vecteur de l'acquisition de nouvelles connaissances et du développement. Bien sûr, la technologie c'est aussi une progression des possibilités humaines, bonnes ou mauvaises. La technologie donne du contrôle et aussi de la responsabilité à l'homme. C'est peut-être pourquoi certains préfèrent se laver les mains dans la neutralité naturelle. Comme la nature ne choisit rien, qu'elle se contente d'être et d'évoluer au gré du hasard, elle ne peut se tromper, et surtout, elle ne peut être déclarée coupable. Vous l'aurez compris, je ne suis pas de ceux qui ont une vision idyllique de la nature, et pour rien au monde je ne voudrais me retrouver dans la peau d'un chasseur-cueilleur du paléolithique, balloté et effrayé au gré d'une nature mystérieuse et indifférente. Je ne suis pas du côté de la nature, mais du côté de l'homme, de sa conscience et de son angoisse existentielle. C'est cette conscience de lui-même, et de sa condition, qui l'a poussé à essayer de s'en sortir graduellement, de génération en génération. La civilisation depuis son origine relève de cette impulsion humaine visant à comprendre et à maîtriser la nature, et ce n'est que dans cette perspective plus détachée que pour moi la nature devient intéressante et fascinante. Je sais que le vin est un détail dans cette vaste épopée motivée par des éléments bien plus fondamentaux, mais en même temps, je trouve important comme amateur de vin de bien comprendre qu'il fait partie de ce mouvement de civilisation. C'est d'ailleurs pour moi ce qui le rend si intéressant. C'est justement parce qu'il est issu du génie humain qu'il est le liquide le plus complexe et le plus intéressant au monde. Un liquide tellement plus intéressant que ce que la nature laissée à elle même peut produire. J'ai donc du mal à comprendre le mouvement obscurantiste qui voudrait ramener son élaboration à sa forme la moins maîtrisée. Je ne prêche pas ici pour l'usage maximal et irraisonné de la technologie et pour l'interventionnisme à outrance. Je prêche pour le savoir et son bon usage, et surtout, j'en ai contre l'idée que ce qui est purement naturel est supérieur à ce que le contrôle de la nature par l'homme peut donner.

Pour revenir à un niveau plus terre à terre, tout en poursuivant dans le même sens, je suis toujours étonné de lire des propos à l'encontre des levures sélectionnées. Je me demande toujours pourquoi ceux qui sont contre la sélection du matériel micro-biologique pour la fermentation, ne sont pas aussi contre la sélection du matériel végétal et sa culture ordonnée. Si les levures sauvages laissées à elles-mêmes sont si fondamentales pour l'obtention d'un vin de meilleure qualité, alors pourquoi n'utilisent-on pas des vignes sauvages non sélectionnées, franches de pied, sans porte-greffes hybrides sélectionnés? Ceux qui connaissent vraiment la viticulture le savent. L'identification, la sélection et la bonne connaissance des propriétés du matériel végétal sont des éléments fondamentaux de la viticulture de haute qualité. Alors si la connaissance et la sélection du matériel végétal sont si importantes au vignoble pour pouvoir en mener au mieux la culture, pourquoi la sélection et la connaissance des propriétés du matériel micro-biologique pour le contrôle adéquat des fermentations ne serait pas tout aussi important? Des fermentations bien contrôlées, avec un matériel micro-biologique adéquat, sont le meilleur moyen de révéler le terroir d'où un vin est issu en évitant les déviations et les interférences aromatiques. Pour arriver à ce contrôle nécessaire des processus fermentaires, et pour l'obtention d'un vin micro-biologiquement stable en bouteille et apte à bien vieillir, l'usage des sulfites est aussi nécessaire. L'usage de ce produit est diabolisé par le mouvement du vin "naturel". Pourtant, si le vin naturel n'existe pas, le dioxyde de soufre naturel lui existe. La fermentation du raisin en génère et sous sa forme de sulfite il n'est pas plus dangereux pour la santé que du sel de table. De plus, il disparaît du vin après une garde en bouteille de 5 à 10 ans. Il est donc difficile de comprendre le rejet d'un outil si utile autrement que par l'angle idéologique.

Personnellement, je n'aime pas croire. Je préfère savoir. En ce sens, l'homme, grâce au savoir, a la capacité de juger des choses et de moduler son comportement en conséquence. Le mauvais usage du savoir et de la technologie par certains ne devrait pas discréditer le savoir technique. L'essence même de la vie réside dans l'aspect relatif des choses et dans la possibilité de faire des choix. Pour moi adhérer au dogme séduisant et simpliste du naturel bienveillant est une capitulation, une abdication de la pleine capacité créatrice de l'homme. Ceci dit, même lorsqu'on l'affuble de naturel, le vin demeure une création humaine, et comme l'homme il peut être bon ou mauvais. Mais au-delà de tout, le vin est un produit de civilisation, un symbole de la relation tourmentée de l'homme avec sa condition naturelle.

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mardi 1 novembre 2011

Quand le Chili fait perdre la raison


Une autre controverse à propos des résultats des dégustations à l'aveugle organisées par Eduardo Chadwick pour tenter de démontrer que ses vins font partie de l'élite mondiale. C'est le blogueur britannique Jamie Goode qui saute un fusible cette fois à ce sujet, allant jusqu'à dire que les dégustateurs impliqués dans ces exercices s'étaient trompés, qu'ils avaient un mauvais goût. Il s'en prend aussi au fait que les juges étaient des « Master of Wine » et remet en doute leurs qualités de dégustateurs. Le « Master of Wine » est une qualification britannique très difficile à obtenir.

Je suis toujours surpris de voir l'antagonisme que peuvent susciter les vins chiliens lorsqu'ils osent prétendre à autre chose qu'au statut de bons petits vins pas chers. Ce type de dégustation est bien sûr un outil imparfait. C'est l'arme du pauvre en prestige. Le but n'est pas de démontrer une supériorité absolue des vins de M. Chadwick face à des noms très renomés. Le but est de démontrer que ses vins font partie de l'élite mondiale et que le Chili a la capacité de produire ce type de vins. Rien de plus. Rien de moins.


Résultats dégustation Hong Kong

Un autre lien où un des dégustateurs y va de ses commentaires sur les vins. Ses deux vins préférés: Sena 1995 et Sena 1997. J'aime bien ses commentaires sur ces deux vins. Ça confirme ce que je me tue à répéter sur le potentiel de garde des rouges chiliens.

Finalement j'ai trouvé un lien à propos de la dégustation chilienne, en espagnol mais facile à traduire sur Google translate. Les juges étaient 17 "Master of Wines" britanniques. Sena 1997 a terminé premier, suivi de Sena 1995, Latour 1988 et Haut-Brion 2000. Je pense que l'argument de l'âge des vins est invalidé. Ça démontre aussi un attrait des juges pour les vins de profils évolués.


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lundi 24 octobre 2011

KUYEN, 2007, MAIPO, VINA ANTIYAL




Vina Antiyal est le projet personnel du winemaker chilien le plus réputé, Alvaro Espinoza. Celui-ci est connu surtout pour son travail de pionnier dans le développement de la culture biologique et biodynamique au Chili. Kuyen veut dire lune en language indigène Mapuche, ce qui cadre bien avec l'approche ésotérique de son auteur. Cette cuvée est le deuxième vin de la maison. Il s'agit d'un assemblage de Syrah (47%), de Cabernet Sauvignon (43%) et de Carmenère (10%). Le vin a été élevé en barriques de chêne français d'âge non spécifié. Il titre à 14.5% d'alcool.

La robe est foncée et opaque. Au nez, c'est le caractère Maipo qui prend le pas sur celui des cépages de l'assemblage avec des notes de menthol et de terre humide qui accompagnent des arômes de cassis et autres fruits noirs. Cette impression de boire une région se poursuit en bouche, et pour qui aime le caractère particulier des jeunes rouges de Maipo, le service est complet. Le vin montre une belle souplesse en attaque et des saveurs qui ont de l'éclat, aidées en cela par une bonne acidité. Une juste dose d'amertume contribue à l'équilibre d'ensemble et apporte un léger trait chocolatée à la palette de saveurs. Le niveau de concentration est bon et typique des rouges chiliens de type « Reserva ». La finale est agréable, avec un sursaut d'intensité et des tanins qui montrent un peu de poigne en toute fin de parcours sur des relents amers de chocolat noir.

Après le 2006, c'est le deuxième millésime de ce vin que j'ai l'occasion de goûter. Celui-ci ne montre pas le caractère prématurément évolué que j'avais perçu dans le 2006, même si un aspect terreux, proche des feuille mortes, est présent dans le profil aromatique. C'est aussi un vin qui reflète très bien son lieu d'origine, et ce lieu n'est pas le Chili, mais bien la vallée de Maipo. C'est donc un vin impeccable dans son style, un vin qui m'a donné du plaisir, mais à 27$ la bouteille, il ne montre pas un RQP très favorable par rapport à d'autres vins chiliens de cette origine, de ce style et de ce niveau qualitatif. Comprenez-moi bien, à ce prix c'est meilleur que bien des vins plus chers, mais dans le contexte chilien, le prix semble un peu trop élevé. Bien sûr, c'est un vin acheté en importation privée, et selon mon expérience, les vins achetés par ce canal sont toujours un peu plus chers que des équivalents vendus en succursale. C'est aussi un vin de petit producteur ayant une bonne réputation et adepte de la biodynamie. Probablement que ce facteur joue aussi sur la prime demandée, même si le caractère biologique ou biodynamique ne semble pas jouer de rôle déterminant sur la qualité finale du produit. Le caractère bio pour moi ne se goûte pas, dans ce vin comme dans tous ceux de ce genre que j'ai pu déguster. Le sérieux du producteur semble être le facteur critique pour assurer la qualité, et Alvaro Espinoza est définitivement un producteur sérieux, malgré son adhésion à la biodynamie et en même temps à cause de celle-ci. C'est là le paradoxe de la plupart des disciples des théories fumeuses de Rudolph Steiner. Ce sont souvent des vignerons dédiés à la qualité et très minutieux qui à mon sens finissent par franchir le pas de la superstition dans leur quête d'excellence. En conclusion, beau vin très agréable, dont il me reste deux bouteilles pour en suivre l'évolution.




samedi 22 octobre 2011

DÉGUSTATION ANNUELLE DES VINS DU CHILI

Avec un peu de retard, voici mes impressions de la dernière dégustation annuelle des vins du Chili


Pour un amateur de vins chiliens comme moi, la dégustation annuelle des vins de ce pays à Montréal est une journée spéciale. C'est aussi une journée chargée, comprenant quatre heures intensives de dégustation. Malgré cela, je n'ai pas eu le temps de goûter tous les vins que j'aurais voulu. Il faut dire que j'ai pris du temps pour discuter avec trois winemakers qui étaient présents à la dégustation, soit Giorgio Flessati de Vina Falernia, Grant Phelps de Casas del Bosque et Ricardo Baettig de Vina Morandé. Comme à chaque année, ceux-ci sont assez surpris de voir quelqu'un connaître autant l'aspect vinicole du Chili sans jamais y avoir mis les pieds. Mais après mes discussions avec eux, je peux dire que j'en connais encore un peu plus.

Ce genre de dégustation intensive d'un très grand nombre de vins en peu de temps, sur de très faibles quantités et en recrachant, est loin d'être l'idéal. Toutefois, ça me semble un bon moyen pour jauger le niveau qualitatif général, et le moins que je puisse dire, c'est que ce niveau ne cesse de s'améliorer. J'ai vraiment été impressionné par la qualité d'ensemble des vins que j'ai pu déguster. Comme à chaque année, j'ai mis la priorité sur les producteurs que je ne connaissais pas, ou très peu. Je me suis aussi concentré sur les vins qui m'intéressent le plus, soit ceux vendus entre 15$ et 40$. Ceci dit, cette dégustation fut aussi une belle occasion de goûter à de nombreux vins plus chers, les vins dits icônes. C'était là une bonne façon pour moi de mettre les choses en perspective.

Le producteur avec les vins au style le plus distinctif était assurément Vina Falernia, le pionnier de la vallée d'Elqui. Je connaissais déjà sa Syrah, Reserva, mais les blancs furent une belle découverte, avec des cépages inorthodoxes pour le Chili, comme le Pedro Ximenez et le Torrontel, sans oublier les usuels Sauvignon Blanc, Chardonnay et Viognier de style très frais. Les vins de Falernia ne sont pas disponibles au Québec, même pas en importation privée. Toutefois, pour qui voudrait découvrir ce que donne la Syrah dans Elqui, j'ai pu goûter la Syrah, Chono, Reserva, Elqui, 2009, de Geo Wines. Elle m'est apparue d'un niveau similaire à l'excellente version 2007, dont j'ai déjà parlé sur ce blogue. Ce vin est disponible en importation privée chez Trialto Wine Group à 17.15$ la bouteille. Un autre vin qui a retenu mon attention pour son élégance et son style épuré est le Sauvignon Blanc, Cool Coast, 2011, de Casa Silva. Ce vin issu d'un vignoble côtier situé au niveau de la vallée de Colchagua est vraiment très bon. Celui-ci est offert en I. P. par LBV International pour 19.95$. Un autre vin ayant retenu mon attention pour son style distinctif et sa qualité est le Carignan, Edicion Limitada, 2007, Maule, de Vina Morandé. Superbe vin. Qu'est-ce qu'attend la SAQ pour offrir un vin de Carignan issu de vieilles vignes non irriguées de la vallée de Maule? On ne peut pas penser refléter le Chili vinicole actuel sans offrir au moins un vin de cette catégorie. Parlant de la vallée de Maule, Concha y Toro était là en force cette année avec les vins de deux de ses filiales autonomes, soit Vina Palo Alto et Vina Maipo. Les gammes de ces deux filiales comprenaient de nombreux vins de la négligée vallée de Maule. Pour bien représenter la région de Maule, il y avait aussi Via wines, un producteur totalement axé sur cette appellation qui offrait un vin totalement élaboré avec le négligé cépage Païs. Un vin léger, au fruité rouge agréable. Ceci dit, les rouges sérieux de Maule ont un style général qui les distingue et c'est bien dommage que ceux-ci soient absents des tablettes de la SAQ.

J'ai eu la chance de goûter les vins rouges de climat frais de Casas del Bosque, et j'ai été favorablement impressionné par le Pinot Noir, Gran Reserva, 2009 et la Syrah, Gran Reserva, 2009. Le winemaker Grant Phelps, qui œuvrait auparavant chez Viu Manent dans la chaude vallée de Colchagua, m'a expliqué que dans la fraîche région de Casablanca, pour obtenir la pleine maturité de la Syrah, les rendements devaient être fortement réduits. Ce qui, bien sûr, contribue à la qualité du vin. Parmi les autres vins qui ont retenu mon attention, il y a le Petit Verdot, Chaski, 2009, Alto Maipo de Vina Perez Cruz. Rares sont les vins monocépage issus du Petit Verdot, et celui-ci est très réussi. On peut y sentir l'influence du terroir de l'Alto Maipo, mais aussi la particularité aromatique du cépage. Je dois dire que Perez Cruz est un de mes producteurs chiliens favoris et j'ai aussi été très impressionné par les deux vins haut de gamme de la maison, soit le Liguai, 2008, (39$) et le Quelen, 2007 (58$). Ces deux vins d'assemblage sont chers, mais la qualité et l'originalité de ceux-ci est telle que ces prix me semblent justifés. Trois autres vins haut de gamme de l'Alto Maipo qui m'ont favorablement impressionné sont la cuvée Triple C, 2005 (47.75$) de Vina Santa Rita, le Cabernet Sauvignon Élégance, 2007 (39$), et l'assemblage, Albis, 2005 (49$) de Vina Haras de Pirque. Ces cinq vins sont à ranger parmi l'élite des vins chiliens issus de cépages bordelais et même si c'est cher, leurs prix demeurent raisonnables par rapport à d'autres vins chiliens ambitieux, ou à des vins d'autres origines montrant ce niveau de qualité.

Le Chili, c'est aussi le Carmenère. Ce cépage apporte une heureuse contribution à de nombreux assemblages. J'ai aussi eu la chance de goûter trois vins de Colchagua où on peut constater le haut niveau qualitatif que le Carmenère peut donner en prestation solo. Il s'agit du Pehuen, 2006, de Vina Santa Rita (55$), du Purple Angel, 2008, de Vina Montes (51$), et de la cuvée Micro-terroir, 2006, de Casa Silva (50$). J'ai aussi goûté les cuvées Reserva (17$) et Gran Reserva (20$) de Casa Silva qui montraient un excellent RQP. Deux assemblages de Colchagua m'ont aussi favorablement impressionné, soit le Coyam, 2009 (30$), de Emiliana, et le Ninquen, 2008 de Luis Felipe Edwards (27$). Ces vins sont du niveau des vins icônes, mais à une fraction du prix.

Bien évidemment, la dégustation ne comportait aucun vin rouge âgé. J'ai passé le message à ce sujet à tous les chiliens présents à qui j'ai pu parler. Les winemakers étaient d'accord avec moi sur cette carence de l'offre chilienne, mais ils me disaient que c'est au niveau commercial que ça bloque. Vendre du vin plus âgé coûte cher. Je persiste toutefois à penser que le Chili doit investir dans ce créneau pour aider à changer son image de producteur de jeunes vins fruités et abordables.

vendredi 14 octobre 2011

Phobie des sulfites? Buvez des vins plus âgés


Ces temps-ci, il ne se passe pas une semaine sans que je tombe sur un article, ou plus, à propos de la mode des vins dits naturels. Cette utilisation du terme naturel pour décrire ces vins est une supercherie. J'y reviendrai bientôt dans un article plus étoffé et couvrant plus large. Toujours est-il que cette mode du vin dit naturel est accompagnée d'une diabolisation de l'usage des sulfites dans l'élaboration du vin et de sa présence dans celui-ci. Bien sûr, ce point de vue contre les sulfites relève de l'idéologie, mais quand même, si quelqu'un tient vraiment à boire du vin sans sulfites, il n'a qu'à boire des vins d'un certain âge. Après 5 années en bouteille, dans la plupart des cas, il n'y aura plus de sulfites dans le vin, ou des quantités très faibles (voir ici, ici et ici). Si vous voulez vraiment mettre toutes les chances de votre côté, ouvrez des bouteilles de 10 ans d'âge. Parmi ceux-ci, seuls les vins fortement sulfités à la mise en bouteille et possédant un bouchon très étanche auront des chances de montrer encore quelques traces du fameux produit. En prime, vous aurez de meilleures chances d'avoir dans votre verre un vin au profil aromatique intègre, fidèle au terroir d'où il est issu, et qui ne sera pas déparé ou carrément gâché par des arômes micro-biologiques déviants. 


lundi 26 septembre 2011

SYRAH, SINGLE VINEYARD, LIMITED EDITION, 2007, ALTO CACHAPOAL, LAGAR DE BEZANA




Après la Syrah Polkura que j'ai récemment commentée sur ce blogue, voici un deuxième vin venant d'un petit producteur chilien indépendant. Les deux font partie de l'organisme MOVI qui regroupe des producteurs indépendants chiliens. Comme dans le cas de Polkura, Lagar de Bezena a choisi le pourtour plus frais de la vallée centrale chilienne pour établir son vignoble. Dans ce cas-ci, il s'agit de l'Alto Cachapoal, c'est-à-dire l'extrémité est de cette vallée, située juste aux pieds des Andes. Le vignoble unique d'où ce vin est issu est nommé « La Esperanza ». Les vignes de Syrah utilisées avaient 9 et 11 ans d'âge, et comprenaient quatre clones du cépage. Le rendement de celles-ci a été limité à environ 35 hl/ha. L'élaboration du vin comprend la vendange manuelle, le tri au chai, vinification par gravité en lots distincts pour chaque clone utilisé, élevage de 20 mois en barriques de chêne français. Le pourcentage de bois neuf n'est pas spécifié. Le vin titre à 14.5% d'alcool et contient 3.3 g/L de sucres résiduels.

La robe est sombre et impénétrable. Le nez exhale ses arômes de façon bien dosée. On y retrouve un mélange de fruits rouges et noirs de belle qualité, avec la cerise qui ressort clairement. Cet agréable aspect fruité est amalgamé à des notes d'épices fines, de terre et d'encre. Un léger aspect torréfié et chocolaté vient compléter ce superbe profil olfactif, à la fois sérieux et raffiné. Le bonheur se poursuit en bouche, où dès l'attaque la texture soyeuse du vin se démarque. C'est caressant, et dans ce contexte, l'ensemble de saveurs déjà perçu au nez se transpose admirablement en bouche, appuyé sur une fine base d'amertume, et avec toujours la cerise qui tient le rôle principal. Le milieu de bouche permet de confirmer la finesse tactile et la qualité des saveurs. Le niveau de concentration est très bon, sans lourdeur ou excès de puissance. Le vin montre un bon volume, ni compact, ni joufflu, juste ce qu'il faut pour bien remplir la bouche avec un petit côté aérien. Ça coule donc sans effort, en charriant des plaisirs multiples, pour aboutir dans une finale harmonieuse et équilibrée, où les saveurs gagnent en intensité avant de lentement s'évanouir sur des relents d'amertume et des tanins boisés qui se détachent.

Ce vin est décidément une très belle découverte pour moi. Une autre preuve de la diversité de styles dont le Chili est maintenant capable. C'est un vin sérieux, qui à ce stade évite l'austérité grâce à sa formidable finesse de texture et à son fruité de cerise délectable. Néanmoins, il y a aussi un côté plus sombre dans celui-ci, avec cet aspect de terre et d'encre noires, sans oublier l'amertume chocolatée et le léger côté torréfié. On peut aussi sentir un aspect boisé, mais au niveau aromatique cet apport m'est apparu subtil et bien dosé, malgré la jeunesse du vin. Le seul léger accroc à ce stade précoce d'évolution, je l'ai trouvé à la toute fin avec des tanins boisés qui ressortent un peu et persistent au-delà des saveurs. Toutefois, selon mon expérience, c'est un léger problème que le temps devrait résoudre et qui ne remet pas en cause l'agréabilité actuelle du vin. C'est un phénomène assez commun pour de jeunes vins relativement ambitieux où on a poussé un peu sur la barrique. Dans ces circonstances, il est clair pour moi que ce vin montre un très bon potentiel de garde, et qu'il devrait se présenter sous un jour encore meilleur d'ici 5 à 10 ans. Finalement, il m'est apparu fidèle à ce que donne ce cépage dans les pourtours plus frais de la vallées centrale. Des vins à la fois riches et frais pouvant montrer une finesse certaine. Ceci dit, ce n'est clairement pas dans le style des vins de Syrah de climats très frais, comme on en retrouve dans San Antonio, Casablanca ou Elqui. Ce n'est pas un tort, juste une différence d'interprétation du cépage. C'est d'ailleurs ce qui fait la beauté de la Syrah au Chili, la variété des styles possibles. En ce sens, ce vin de Lagar de Bezana est une belle pièce de cette mosaïque naissante qu'est la Syrah au Chili.

Ce vin n'est pas disponible au Québec. Je l'ai reçu lors de ma participation à un repas-dégustation de Vins du Chili. Comme pour tous le vins dont je traite sur mon blogue, je l'ai commenté car c'est un vin de qualité qui m'a plu.



vendredi 23 septembre 2011

Déficit d'image: le problème non résolu du Chili

Document intéressant consacré au Chili par le magazine britannique "Drink Business". On y parle des développements viticoles récents dans ce pays, de la qualité et de la variété croissante, mais comme ce magazine s'intéresse surtout à l'aspect commercial du monde du vin, on tente de déterminer le chemin à suivre par ce pays et ses vins pour se sortir du créneau d'entrée de gamme auquel il est fortement identifié. À la lecture des différents articles, on se rend compte qu'il est très difficile de briser des stéréotypes et que souvent, la qualité des vins n'est pas en cause. En matière de vin, la perception tient lieu de réalité, et cette perception est conditionnée par les préjugés. Le défi principal du Chili est de convaincre le consomateur de payer plus pour ses meilleurs vins. Le problème, c'est que généralement le client qui est prêt à payer plus pour une bouteille ne veut pas seulement acheter un meilleur vin. Il veut aussi que la bouteille et son étiquette projette l'idée et l'image d'un vin de meilleure qualité. Malheureusement, malgré tous les progrès qualitatifs du Chili au cours des dernières années, l'image des vins de ce pays est toujours associée au vin d'entrée de gamme. Le vin chilien, même celui de très haute qualité, n'est pas celui qu'on sort pour impressionner les convives. Il y a zéro effet prestige avec les vins de ce pays. Je dirais même qu'il y a un effet prestige négatif. Ce qui est pire que ne pas avoir de prestige. Il faut dire que le Chili, malgré la beauté saisissante de ses paysages, n'est pas le pays des châteaux. Ce n'est pas non plus le pays du petit producteur artisan, même si la situation évolue de ce côté. Dans ces conditions, et la lecture du document de "Drink Business" le montre bien. Il n'est pas facile pour les chiliens de choisir la bonne stratégie pour perçer dans le marché du vin de gammes de prix supérieures. Le déficit d'image est un boulet dont il semble impossible de se défaire. Le pays semble condamner à toujours offrir sa qualité à prix d'aubaine. Bien sûr, il y a ces vins dits icônes qui tentent de briser cette barrière en affichant des prix démesurés. Mais cette catégorie représente un très faible pourcentage de la production chilienne. Ces vins sont plus un énoncé de principe par rapport aux ambitions du pays, qu'une catégorie commercialement significative. En ce sens, ces vins très chers ont leur raison d'être. Ils sont un pied de nez à tous ceux qui pensent que les vins chiliens ne devraient être que bon marché.

Bien sûr, la situation que je vins de décrire est regrettable pour les producteurs de ce pays, mais c'est ce qui m'a attiré vers les vins de ce pays en premier lieu, et même si aujourd'hui mon intérêt pour ce pays va bien au-delà de cette situation avantageuse pour le consommateur. Ça demeure un élément important de mon attrait pour ce pays. En terminant, parmi toutes les avenues envisagées dans le document de "Drink Business" pour aider le Chili à briser son déficit d'image, la mise en valeur du potentiel de garde des vins rouges n'est pas mentionnée parmi les pistes de solution. Je suis peut-être le seul à penser cela, mais il s'agit d'une omission déplorable. Je dirais même plus, c'est un faute grave. C'est grave car c'est l'initiative la plus simple et la moins côuteuse que les producteurs de ce pays pourrait prendre pour créer une toute nouvelle catégorie de vins aux profils distinctifs. Une initiative qui donnerait une toute nouvelle perspective sur les vins rouges de ce pays. Ça ne briserait peut-être pas totalement l'image négative assiociée aux vins chiliens, mais ce serait un facteur important pour y arriver.


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samedi 17 septembre 2011

CABERNET SAUVIGNON, DOMUS AUREA, 2006, ALTO MAIPO, CLOS QUEBRADA DE MACUL




Lorsque j'écrivais sur le forum Fouduvin, j'avais commenté le millésime 2002 de ce vin de façon complète et très élogieuse. J'avais alors dit qu'il s'agissait de mon meilleur vin chilien à vie. Je n'ai malheureusement pu racheter ce vin que dans le millésime 2006. J'ai récemment ouvert ma première bouteille de ce millésime, et c'est comme si j'avais eu un gros « flashback ». Dès le premier abord du vin j'ai retrouvé ce qui m'avait tant enthousiasmé dans le millésime 2002. Comme alors, je me disais que ce vin ressemble au plan aromatique aux Cabernets, Antiguas Reservas, de Cousino Macul des années 90, alors que ceux-ci venaient encore entièrement des vieux vignobles de Macul, en banlieue de Santiago, Mais comme alors, je me disais que c'est comme un Antiguas Reservas magnifié. La marque aromatique du terroir est là, indéniable, mais tout dans le Domus Aurea semble meilleur encore. Plus riche, plus fin, plus caressant, plus concentré et plus long. J'ai souvent écrit qu'en matière de vin plus n'égale pas toujours mieux, et je le pense encore, car en l'absence d'équilibre, plus peut mener au pire. Mais dans ce cas-ci, l'équilibre et l'harmonie étaient au rendez-vous de magnifique façon. Même si je me concentre surtout sur les vins chiliens de prix abordables. J'ai eu la chance de goûter bon nombre de super-premiums chiliens, les Almaviva, Don Melchor, Clos Apalta, Montes Alpha M, Folly, Sena, Manso de Velasco, et bien d'autres encore. Bien que plusieurs de ces vins soient de grande qualité, pour ma part, ce deuxième millésime du Domus Aurea me confirme que pour moi ça demeure le plus grand vin chilien qu'il m'ait été donné de goûter. Un vin qui me prouve que les notes sur 100 des magazines américains sont de la foutaise. Elles ne sont basées que sur la concentration, la puissance et la renommée du producteur. La beauté du Domus Aurea c'est qu'il possède toute la concentration nécessaire, mais que jamais il n'a l'air puissant à cause de son équilibre formidable. En dégustant ce vin, je me disais qu'en terme de qualité, ce Domus Aurea était non seulement mon vin chilien favori, mais qu'il se comparaît avec ce que j'ai pu déguster de mieux dans ma vie. Puis en relisant cette semaine un article sur le potentiel de garde des rouges chiliens, où l'on parle du Domus Aurea, je suis tombé sur cette affirmation que je cite dans le texte :

"Domus Aurea is another example of a stylistic transformation with a new enologist. From one of the oldest hillside vineyards in Chile, planted in 1970, this blend of 80% Cabernet with Merlot, Petit Verdot, and Cabernet Franc is not only modeled after Bordeaux, but is capable of giving the best of them a run for their money".

Dans la même classe que ces grands vins donc, tout en ayant son identité propre, mais à une fraction du prix. J'ai payé ce 2006, 48$ la bouteille, une hausse de seulement 6$ par rapport au 2002. À ce prix, c'est une formidable aubaine. Malgré mon amour grandissant pour la Syrah, le Cabernet Sauvignon demeure mon cépage noir favori, et selon moi l'Alto Maipo est un des meilleurs terroirs au monde où il peut s'exprimer, et assurément le terroir à Cabernet Sauvignon le plus sous-évalué sur la planète. La beauté avec le Domus Aurea, c'est qu'il provient d'un vignoble mature qui permet de révéler le plein potentiel de la région, et surtout, ce n'est pas un vin axé sur la recherche de puissance. Un problème qui affecte trop de cuvées se voulant ambitieuses, à la recherche des gros scores pouvant les propulser rapidement en terme de notoriété et de prix, quoi que pour les gros scores, le prix doit souvent être là au départ. Heureusement, le Domus Aurea sait éviter ce piège. Ce producteur ne fait pas de compromis mercantiles à court terme et agit en fonction de sa conception du vin. Il ne met pas la charrue avant les bœufs en appliquant une politique de prix raisonnable. En fait, il semble avoir une confiance tranquille dans son produit, et dans le fait que celui-ci saura trouver la reconnaissance auprès des amateurs de vins raffinés qui auront la chance d'y goûter. C'est peut-être moins spectaculaire comme approche, mais à long terme ça me semble la bonne. Domus Aurea est un classique du futur, c'est donc aujourd'hui qu'il faut y goûter.