mercredi 29 juin 2011

Aborder le vin autrement


Si vous lisez ce blogue avec régularité, vous le savez déjà, je bois surtout des vins du Chili, mais je lis et m'intéresse au monde du vin dans son ensemble. Avec ce que j'ai pu lire ces derniers temps sur divers blogues et forums, disons que je ne suis pas prêt de devenir un buveur plus traditionnel. De manière générale j'ai pu constater un écœurement avec l'annonce des prix des bordeaux primeurs 2010. Certains encaissaient les hausses depuis longtemps sans trop broncher, mais là il semble que pour plusieurs ce soit la goutte qui fasse déborder le vase. Ce que je trouve dommage toutefois, c'est de voir certains amateurs contempler l'idée d'arrêter de s'intéresser au vin à cause de l'inaccessibilité croissante des vins prestigieux. C'est à se demander si ce qui compte le plus c'est le nom sur l'étiquette, et tout ce qui vient avec, plutôt que le vin lui-même. Depuis que je m'intéresse au vin, j'ai toujours été sceptique face à la hiérarchisation à la française et à son aspect définitif. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des terroirs plus propices que d'autres à produire des vins de haute qualité, mais ce système est érigé de telle façon qu'il semble affirmer une vérité absolue et permanente. Le problème, c'est que plusieurs croient qu'il s'agit d'une vérité absolue et permanente. Le résultat de la glorification de ce qui se situe au haut de cette pyramide, c'est une dévalorisation de ce qui est plus bas, ou hors de cet édifice immuable. Certains en viennent à penser que pour être un réel amateur, il faut pouvoir accéder au haut de cette pyramide. Sans cela point de salut. Bien sûr, dans un monde idéal il serait intéressant de pouvoir accéder facilement à ces vins, ne serait-ce que pour constater que même si ça peut être très bon, le vin de grande qualité existe aussi ailleurs. Ceci sans compter que le plaisir que le vin peut offrir est multiforme. Il y a beaucoup de très bons vins dans le monde qui sont totalement hors de la pyramide hiérarchique officielle, ou hors de celle parallèle des vins médiatiques à grosses notes. C'est vers ces vins qu'il faut se tourner.

Bien sûr, il est plus difficile de trouver des vins dont presque personne ne parle. Il faut aussi renoncer au pouvoir de l'étiquette, ce qui implique qu'il faut juger par soi-même. En fait, une des conditions de base pour sortir du schéma traditionnel, c'est d'être convaincu qu'il y a autre chose de très bon ailleurs. Si l'amateur qui avait mis son bonheur vinique dans les mains des hiérarchies que je viens d'évoquer, pouvait avec autant de conviction penser que son bonheur peut-être ailleurs. Le pas le plus important serait franchi, car il ne faut pas oublier que l'aspect mental est primordial dans l'appréciation du vin. Votre conviction de départ aura une influence déterminante sur votre appréciation des choses. La dégustation à l'aveugle le démontre très bien. Bien sûr, la conviction n'est pas quelque choses de volontaire et les préjugés sont tenaces. Si on a cru en quelque chose pendant de nombreuses années, qu'on s'y est investi à fond, il n'y a pas d'interrupteur pour renverser les choses. Si, par exemple, vous êtes convaincu que la quintessence de l'assemblage bordelais ne peut s'obtenir que dans sa région d'origine, car c'est de là que ça vient, alors il sera très difficile de vous faire acheter un assemblage de ce type venant de Hawkes Bay, du Languedoc, de Maule, de Mendoza ou de Margaret River. Surtout que ces vins auront leurs particularités, surtout en jeunesse. Si au contraire vous êtes convaincu que Bordeaux n'a pas le monopole de la qualité, et que vous êtes ouvert à apprivoiser les particularités venant avec des terroirs différents, alors là l'histoire change. Bordeaux restera Bordeaux, une référence incontournable à laquelle il fera toujours bon de revenir, mais l'horizon lui se sera passablement élargi.

Bien sûr, je vous entend déjà vous dire que je peux bien parler d'horizons élargis, moi qui se concentre fortement sur le Chili, et vous avez bien raison. Tout ce que je peux dire pour ma défense, c'est qu'au Chili je ne suis pas frustré par les prix. En fait, je demeure convaincu que le Chili est le meilleur pays au monde en terme de RQP, que la variété y est grandissante et que c'est actuellement le pays le plus intéressant à suivre à cause de son évolution rapide. Ceci dit, je suis le premier à reconnaître que mon champ d'action est très limité et que c'est loin d'être l'idéal pour un véritable amateur. Toutefois, il ne faut pas confondre champ d'action et champ d'intérêt. D'ailleurs, je devrais participer plus souvent à des dégustations organisées comprenant des vins d'origines variées. C'est une bonne façon de goûter à beaucoup de choses différentes, et une bonne façon aussi de goûter à certains de ces vins faisant partie de ces pyramides de moins en moins accessibles. Je l'ai fait plusieurs fois dans le passé, et pour moi ça avait l'effet de renforcer mes convictions, tout en balisant le terrain. Comme quoi une fois que quelqu'un est convaincu de quelque chose, il est difficile de lui faire changer d'idée. D'ailleurs, la base du problème demeure les idées que l'on inculque aux gens qui commencent à s'intéresser au vin. On nous rabat toujours les oreilles avec les mêmes lieux communs. Encore hier je suis tombé sur un bel exemple de ce discours convenu qui contribue à convaincre l'amateur qu'il n'y qu'une voie vers le bonheur en matière de vin. C'est un article du site Cyberpresse (voir le lien) où l'on demande à la sommelière Jessica Harnois quels vins des parents devraient mettre de côté aujourd'hui pour fêter les 20 ans de leur enfant. Les réponses de Mme Harnois sont d'un conformisme déplorable. Elle y ressort la hiérarchie traditionnelle avec ses vins aux prix exorbitants. Ce n'est qu'un exemple, bien sûr, mais pour moi il est représentatif de la culture dominante dans le monde du vin. Aucune originalité, aucune audace, toujours la même vision sclérosée des choses, déconnectée de la réalité économique de la vaste majorité des amateurs. Sans compter que ça contribue à légitimer quelque chose qui ne devrait plus l'être. Il y a plein de vins de prix abordables et de très belle qualité qui peuvent être achetés aujourd'hui et qui seront excellents pour le vingtième anniversaire de votre rejeton. Le vin c'est tellement plus que tous ces produits de luxe aux prix gonflés qui n'ont de sens justement que dans une logique de luxe. C'est dommage de constater qu'une partie du patrimoine vinicole mondial est maintenant passé dans cette catégorie, mais le vin à échelle humaine et de grande qualité existe encore. Il me semble que si on aime vraiment le vin on devrait le favoriser et oublier les produits de luxe, même si de l'excellent vin en est souvent l'ingrédient de base.




4 commentaires:

  1. Claude,

    Tu devrais faire tes recommandations...Chili ou autres!

    Il faut dire qu'elle (Jessica Harnois) ne sait pas trop cassé le "bicyk" avec les choix! A t-elle été coupée au montage? Je l'espère...Sans quoi, il y a aucune valeur dans ce qu'elle a mentionner. Un simple débutant aurait pu dire...et probablement dit la même chose.

    Dantès.
    Jean-F.

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  2. Salut J-F,

    Mes recommandations, mon blogue en est rempli. La plupart sont des vins entre 15 et 30$ qui pourront bien évoluer sur 10 à 20 ans, et dans certains cas plus encore. Tu le sais déjà, mais il n'y a pas de mal à le répéter. Le gros avantage de garder des vins de cette catégorie de prix c'est qu'on peut en acheter plusieurs exemplaires et les suivre dans le temps. Quand on a bien choisi et que la qualité est au rendez-vous, il faut aussi traiter ces vins avec le même respect que des vins plus chers. Les phases ingrates existent aussi pour des vins de ce prix, je le sais d'expérience, alors il faut se méfier des conclusions hâtives. Une chose est sûre, si j'avais eu un enfant entre 2003 et 2008, non seulement je pourrais célébrer ses 20 ans avec une ou plusieurs très bonnes bouteilles, mais en plus je pourrais faire son éducation sur l'évolution du vin en bouteille car les bouteilles à ouvrir seraient nombreuses. Pour le reste, j'ai quelques vins intéressants d'ailleurs dans le Nouveau-Monde que je vais ouvrir dans les semaines et mois à venir. Alors reste à l'affût. D'ailleurs, je veux augmenter la proportion de ces vins sur le blogue. Le Nouveau-Monde est tellement mal couvert par la presse vin au Québec, mais ça c'est une autre histoire.

    Claude

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  3. C'est un joli texte que tu as écrit, Claude, et je partage entièrement ton idée trouvant regrettable que les gens en viennent à mettre en doute leur passion d'amateur suite à une hausse vertigineuse de prix dans une région particulière.

    Il y a a une pléthore d'excellents vins à prix raisonnables dans le monde - y compris à Bordeaux en fait! - pour tenir occupé l'amateur pendant toute une vie. Faut pas être pessimiste...

    Une chose par contre qui m'intrigue dans ton texte :

    "Il y a plein de vins de prix abordables et de très belle qualité qui peuvent être achetés aujourd'hui et qui seront excellents pour le vingtième anniversaire de votre rejeton."

    La chose me concerne, puisque fiston est né en 2010, et s'il y a un aspect du vin qui me semble très difficile à comprendre c'est de savoir si un vin vieillira bien sur 20 ans. Beaucoup de vins intéressants en jeunesse deviennent quelconques à ce stade, certains sont carrément morts, d'autres auront assez peu changé, etc. Même parmi les réputés grands vins d'aujourd'hui - Bordeaux en chef de file - il me semble difficile de savoir si l'assouplissement en jeunesse permettra des gardes aussi longues que par le passé.
    Si ce n'était qu'une question d'amélioration technique, il n'y aurait pas de problème : on sait mieux faire le vin aujourd'hui. Mais également les producteurs s'efforcent de faire des vins accessibles rapidement dans leur vie et c'est cet aspect qui me laisse penser qu'il est possible que ce travail entame la durée de vie des vins.

    On verra bien dans 20 ans...

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  4. Salut Olivier,

    Félicitations en retard pour ta nouvelle paternité. Face à cela, je suis sûr que le vin prend sa vraie place dans l'ordre des choses. Ce qui n'empêche pas de continuer de s'y intéresser et à terme de vouloir transmettre cet intérêt.

    Dans le monde du vin, la chose la plus difficile est de prévoir l'évolution d'un vin en ne se basant que sur celui-ci, et sur rien d'autre. De plus, tu as raison de dire qu'avec tous les changements dans les méthodes d'élaboration, même l'identité du vin n'est plus un gage aussi solide qu'avant quant au potentiel d'une cuvée. Donc, c'est encore plus vrai pour le genre de vins auxquels je m'intéresse, qui souvent n'ont pas d'historique en terme de garde. Dans ces circonstances, choisir un vin pour la garde devient une question de sensation personnelle et de conviction. Pour ma part j'ai hautement confiance dans ma capacité d'identifier de bons candidats pour la garde. Je sais que ça a l'air prétentieux à dire comme ça, et le temps montrera peut-être que c'était bel et bien de la prétention de ma part. Si jamais c'est le cas, je serai bien mal pris, car j'ai accumulé beaucoup de ces bouteilles sur lesquelles peu d'amateurs auraient parié. Toutefois, là où je minimise mon risque, c'est qu'étant donné le prix relativement modique des bouteilles que j'encave, j'en achète de nombreux exemplaires et je peux ainsi en suivre l'évolution. Pour moi c'est beaucoup plus intéressant et éducatif que d'investir dans une bouteille unique et très dispendieuse en espérant qu'elle livrera la marchandise 20 ans plus tard. Le plus intéressant dans la garde du vin c'est d'en suivre l'évolution dans le temps. Ainsi on peut ajuster notre consommation selon l'évolution du vin et notre goût, tout en gardant certaines bouteilles simplement pour acquérir de l'expérience. Cette expérience permet ensuite, par le biais des comparaisons et de l'extrapolation, de faire des choix plus avertis.

    D'ailleurs, on s'était dit qu'on ouvrirait un jour un Malbec, 1994, de Weinert. J'ai toujours cette bouteille et dans trois ans elle aura 20 ans. Ce sera une bonne occasion de mettre ma prétention à l'épreuve! Une bouteille de Cabernet Sauvignon, 1999, du même producteur, apportée à une dégustation de groupe cet hiver, me laisse penser qu'à 20 ans le vin sera encore superbe. Ce Cab avait été le vin favori de plusieurs lors de cette dégustation, et n'avait rien d'un vin sur la pente descendante. Il montrait un stade d'évolution très semblable à celui de GCC bordelais du millésime 2000 que j'ai aussi dégustés cet hiver. À suivre...

    Claude

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