samedi 27 novembre 2010

Et si le phylloxéra disparaissait demain...

Il existe un courant de pensée à la mode en ce moment dans le monde du vin fin voulant que ce qui est naturel est meilleur. Ce serait le terroir qui ferait le vin de haute qualité, en autant que l’homme interfère le moins possible dans les processus vertueux de la nature bienveillante. Certains incluent même le cosmos dans cet ordre naturel à respecter, si on veut atteindre le summum de la qualité au travers de vins dits authentiques.

J’ai toujours pensé que cette vision des choses relevait surtout de l’idéologie. En même temps, c’est un bel outil de marketing pour vendre des bouteilles à ceux qui veulent du rêve dans leur verre, en plus du vin. Ceci dit, pour moi le tendon d’Achille de tous les défenseurs de ce type de vision naturaliste est l’usage des porte-greffes imposé un peu partout au monde depuis environ un siècle par le phylloxéra. Je me demande ce qui se passerait aujourd’hui si le phylloxéra n’existait pas. Si toutes les vignes Vitis vinifera étaient toujours plantées sur leurs propres racines et que quelqu’un suggérerait d’adopter la technique de greffage sur des racines d’une autre espèce de vigne dans le but d’obtenir, dans bien des cas, de meilleurs vins. J’imagine déjà les arguments enflammés de nos amants du naturel. On pousserait les hauts cris en dénonçant une violation pure et simple du sacro-saint terroir, de l’odre naturel seul garant de la qualité réelle. Des vins issus de vignes greffées ne sauraient être meilleurs que ce que la nature a voulu, et surtout, ils ne seraient pas authentiques. On y verrait un traficotage inacceptable, une dérive scientifique!!!

C’est drôle, car en tant qu’amateur de vins chiliens. Je devrais être un de ceux qui chante les vertus des vignes franches de pied. Le vignoble chilien est non greffé à plus de 90%. Je pourrais prôner la supériorité des vins chiliens en vantant leur naturel et leur authenticité. Ce n’est pourtant pas le cas. En tant qu’amateur de vins du Chili, l’influence de l’absence de greffage m’a toujours intéressé. Je me suis toujours demandé si la fameuse “typicité” chilienne n’était pas due en partie à l’absence de greffage de la plupart des vignes. J’ai déjà traité de cette question sur ce blogue, et je suis tombé récemment sur un article intéressant sur le sujet (voir liens). Plus je lis à ce propos, et plus je suis convaincu que le greffage est en général un apport positif à la viticulture. Un apport survenu par la force des choses, par une nature qui a montré qu’elle n’est pas toujours bonne, mais un apport qui au bout du compte aura permis le développement d’une viticulture plus flexible. Une viticulture ayant une plus grande capacité d’adaptation aux conditions de culture (nature des sols, climat). J’en suis aussi venu à penser que l’absence de greffage représentait, de manière générale, un handicap pour la viticulture chilienne. Le Chili est un pays aux nombreux atouts en matière de culture de la vigne, mais ceux-ci étaient vraiment mal exploités. On plantait franc de pied, du matériel végétal de qualité souvent douteuse, parfois mal identifié (Carmenère-Merlot, Sauvignon Vert-Sauvignon Blanc), sur des terroirs rarement appropriés, et avec un système racinaire souvent inadapté. Les vignes plantées sur leur propres racines sont plus vigoureuses, que les vignes plantées sur un porte-greffe adapté. Quand on pense qu’au Chili on a longtemps planté la majorité des vignes sur le plancher très fertile de la chaude vallée centrale, on comprend mieux la réputation de verdeur qui encore aujourd’hui est associée aux vins de ce pays. Vignes vigoureuses, sols fertiles et hauts rendements sont la recette idéale pour l’obtention de mauvais vins au caractère végétal vert marqué. Heureusement, depuis environ une quinzaine d’années, le Chili a entrepris un virage drastique pour corriger ce qui nuisait à sa viticulture. On a vu l’émergence de nombreux terroirs aux climats plus frais et aux sols beaucoup moins fertiles. On plante maintenant les bons cépages aux bons endroits. On a aussi importé du matériel végétal de meilleure qualité. De nombreux producteurs plantent maintenant leurs vignes sur des porte-greffes adaptés au cépage et aux conditions de culture du lieu. Toutefois, de nombreux producteurs continuent de croire que les vignes franches de pied sont supérieures et plus authentiques. Le mouvement vers le greffage est donc incomplet. C’est peut-être une bonne chose dans certains cas. Je ne suis pas viticulteur, mais j’aurais tendance à croire que quand le mariage est parfait avec le sol et le climat, la vigne franche de pied bien conduite est encore ce qu’il y a de mieux et de plus souhaitable et durable. Mais pour quelques mariages bien réussis, combien d’autres seront boiteux? Difficile à dire.

Les producteurs chiliens font face à un dilemme que n’ont pas la grande majorité des producteurs d’ailleurs dans le monde. Il ont la possibilité de planter franc de pied ou de greffer. Ils ont le choix d’y aller avec la solution la plus naturelle, la plus facile et la plus économique, ou bien d’y aller avec le greffage plus compliqué et plus coûteux et non naturel. Dans ces conditions choisir le greffage semble contre intuitif. Mais si le greffage était vraiment la meilleure solution? Une chose est sûre, cette question, seuls les chiliens peuvent actuellement se la poser. J’aimerais toutefois voir ce qui se passerait dans le reste du monde vinicole si demain matin on trouvait une façon d’éradiquer le phylloxéra. Verrait-on un large mouvement de replantation pour passer à des vignes franches de pied? Je pense que nos amants de la nature auraient de la difficulté à résister.

http://www.sommelierjournal.com/articles/article.aspx?year=2010&month=6&articlenum=61

http://levinauxantipodes.blogspot.com/2010/08/vins-issus-de-vignes-greffees-et-non.html



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