Je décide de m’attaquer à ce sujet sensible qui me turlupine depuis longtemps, mais que j’avais toujours évité, tellement ma vision des choses à son propos va à l’encontre de ce qui est généralement accepté dans le monde du vin. D’entrée je dois dire que comme bien des Québécois je ne viens pas d’une famille où le vin était chose courante à table. Je n’ai donc pas intégré cette habitude de manière culturelle, et lorsque j’ai commencé à m’intéressé de manière plus assidue au vin et à ses plaisirs possibles, la consommation de celui-ci à table ne s’est pas imposée naturellement. Comme à peu près tout le monde, j’ai commencé à boire du vin lors de repas entre amis. Mais alors mon intérêt pour ce liquide était inexistant. Toutefois, lorsque j’ai commencé à acheter des bouteilles pour moi-même, pour me familiariser avec le vin, pour commencer un certain apprentissage. J’ai vite réalisé que ce n’est pas en mangeant que je pouvais vraiment le mieux apprécier ce liquide multiforme. Dès le départ j’ai trouvé que déguster en mangeant altérait mes perceptions face au vin, même lors d’accords très réussis entre celui-ci et le plat avec lequel je le dégustais. Ce qui fait que la dégustation en mangeant est pour moi plus une pratique sociale, où au mieux je juxtapose deux plaisirs, que l’aboutissement ultime dans l’appréciation du vin. Lorsque je déguste en mangeant, j’ai tendance à séparer autant que possible les deux activités, sauf lors d’accords vraiment très réussis, et même là, je serai curieux de voir ce que le vin donne par lui-même. D’ailleurs, avez-vous remarqué qu’on dit rarement “déguster du vin en mangeant”, mais qu’on parle plutôt de “boire du vin en mangeant”.
Ce que je tente d’exprimer par ce texte n’est pas qu’il est ridicule de boire du vin en mangeant. Non. Ce qui m’embête, c’est l’idée voulant que le lieu suprême de l’appréciation du vin soit la table. Pour moi, ce n’est pas l’endroit idéal pour goûter et humer toutes les subtilités que les bons vins peuvent offrir. Je ne dis donc pas que le vin n’a pas sa place à table, mais il me semble que ce n’est pas l’endroit pour apprécier pleinement un vin fin. Le nez peut souvent y être masqué par l’odeur des plats servis, et en bouche, le palais est immanquablement altéré par la nourriture. Ceci dit, j’admet volontiers qu’il y a des cas où certains vins mariés à certains plats peuvent y gagner, et il peut y avoir une réelle valeur ajoutée lors de mariages vin-mets particulièrement réussis. Je conçois même que c’est un art de réaliser avec succès de tels mariages. Mais comme le vin est une boisson qui se présente souvent sous un aspect difficile à prévoir avec précision, même le mieux intentionné des sommeliers pourra se tromper assez fréquemment, alors imaginez le simple amateur. Je suppose que cette difficulté explique le succès des livres traitant des accords entre mets et vins.
Je n’ai pas la prétention de détenir la vérité en la matière, mais de manière générale, il me semble que plus un vin est fin et subtil, et moins je voudrais le consommer avec toutes les interférences potentielles qu’implique un repas. Je pense que c’est souvent la panoplie de plaisirs potentiels et l’effet rassasiant qu’offre une bonne table, et le lieu de partage qu'elle représente, qui font que plusieurs y voient le lieu idéal pour l’ouverture des meilleures bouteilles. Moi je pense qu’il ne faut pas tout confondre. Un bon repas en bonne compagnie et avec du bon vin au surplus est une expérience qui peut apporter beaucoup de satisfaction sur plusieurs plans. Le repas est le lieu de partage par excellence, on s’y rassasie le corps, mais aussi souvent l’âme et parfois au surplus l’intellect. C’est donc un lieu social généralement positif dans lequel l’alcool pris avec modération cadre très bien. Dans ces circonstances de quasi communion, il est normal de se dire que le meilleur devrait s’y trouver, parce que c’est là qu’il pourra y être le mieux apprécié du point de vue psychologique. Mais il me semble que ça ne permet pas de dire que les bouteilles qui y sont bues le plus rapidement sont nécessairement les meilleures possibles. De bons vins simples et bien faits peuvent généralement très bien faire l’affaire.
Mon argument n’est pas de dire qu’il faudrait cesser de boire du vin à table. D’un point de vue physiologique et social, ainsi que du point de vue de la santé, ça reste encore le meilleur endroit pour en boire. Le domaine des accords entre mets et vins est aussi un sujet très intéressant. Mais du point de vue de l’appréciation la plus juste possible d’un vin et du plaisir objectif que celui-ci peut donner, la dégustation à part me semble celle qui devrait être privilégiée. Personnellement, je sais qu’idéalement je voudrais déguster mes meilleurs vins pour eux-mêmes dans un cadre de dégustation, en ayant le temps de m’y attarder et de les suivre dans le temps.
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Claude,
RépondreSupprimerTotalement d'accord avec toi. La dégustation "à part" est vraiment la vraie façon de déguster.
Le vin, à table, subit les assauts des arômes, des goûts. Il ne peut se révéler complètement, car les "distractions" sont trop nombreuses.
L'idéal, selon moi, c'est d'ouvrir, lors de soupers d'amis, des bons vins de plaisir que l'on connaît et apprécie régulièrement. De cette façon, ils ne souffrent pas de la compétition qu'apporte le menu, l'environnement, et, trop souvent, l'enthousiasme des convives!!! Mais IL est très enthousiaste à apprécier une bonne bouteille avec un mets qui offre un heureux mariage avec celle-ci.
En ce qui concerne les soupers de groupe au resto, événements auxquels nous participons rarement, nos amis et nous apportons rarement de grandes bouteilles, car nous savons qu'elles ne seront pas appréciées à leur juste valeur.
Toutefois, lorsque nous ouvrons une bouteille pour un souper à deux, celle-ci est ouverte plus tôt, un premier verre accompagne la préparation du souper, il accompagne le repas, et le reste de la bouteille est la plupart du temps dégusté au salon, durant la soirée.
Ceci permet au vin d'être évalué sous tous ses angles, et de montrer sa personnalité lors de toutes les étapes.
Donc, difficile de faire l'unanimité entre les tenants de la dégustation à part et de l'accompagnement... même chez-nous, nous ne sommes pas totalement d'accord.
Pierrette
Salut Pierrette,
RépondreSupprimerC'est sûr qu'on ne peut faire l'unanimité sur ce sujet et on peut aimer le vin dans les deux contextes. Mais ceux qui comme nous préfèrent le vin en isolé ne le disent pas souvent. L'idée généralement acceptée c'est que le lieu par excellence pour apprécier le vin est à table, et c'est surtout contre ça que j'en ai.
Claude
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Intéressant votre reflexion, en tant que vigneron je déplore de plus en plus que les gens cherchent seulement à déguster le vin.
RépondreSupprimerIl faut réhabilité le vin boisson, le plaisir de finir une bouteille et pas seulement de tremper ses lèvres dans un liquide bodybuildé (sur extrait, sur boisé), les vins fins sont ceux qui je pense vont le mieux à table, car il sont rafraichissant, gouleyant.
Boujour M. Betschart,
RépondreSupprimerLa définition de vin fin peut être variable selon à qui on s'adresse. Mais le vin fin est généralement un produit de luxe. Je comprends le point de vue du vigneron qui voudrait voir ce produit intégré à la routine alimentaire, mais du point de vue économique ce n'est pas à la portée de tous. Pour ce qui est de l'aspect "bodybuildé", je partage votre point de vue. J'en traite d'ailleurs sous la rubrique "Qualité et Prix" qu'on retrouve plus bas sur cette page. Pour ce qui est de finir les bouteilles, dans nos sociétés modernes où les gens seuls sont de plus en plus nombreux, finir une bouteille lors d'un repas n'est pas recommandable. Personnellement, j'aime ouvrir une bonne bouteille un jour de week-end, pendant l'après-midi, et la terminer tard en soirée en ayant eu le temps de suivre son évolution, en dégustant lentement, sans jamais être affecté par l'effet de l'alcool.
Claude
Je vous comprends mais contrairement à vous je n'arrive pas à trouver d'endroit plus approprié pour jouir du vin. Je dis bien jouir du vin et non déguster puisqu'étant sommelier mais surtout hédoniste je réserve mes analyses sensorielles à l'évaluation et à la sélection de mes vins et après je m'abandonne au paisir de sa consommation (toujours raisonnable rassurez vous) Là où je vous rejoins c'est qu'un vin peut être démoli par un plat, c'est tout l'intérêt d'apprendre à adapter ce qu'on boit à ce qu'on mange ou vice et versa. Voyez vous quand j'évalue les qualités d'une belle femme et qu'elle me séduit, si je fais l'amour avec je ne mesure plus le diamètre de son tour de taille... Petite précision pour terminer, il m'arrive de boire du vin hors repas, je le choisis alors plutôt sensuel, il doit alors parfaitement s'harmoniser à moi ....
RépondreSupprimerBonjour M. Bertossi,
RépondreSupprimerComme je l'ai dit, mon propos n'est pas de chasser le vin de la table et de mettre les sommeliers au chômage. Pour ce qui est des métaphores vineuses, elles sont toujours un peu inadéquates et souvent risquées, même si elle peuvent parfois faire sourire. À la vôtre je pourrais répondre que faire vraiment l'amour implique d'être seul avec sa partenaire. D'ailleurs, n'associe-t-on pas le terme orgie à des repas très généreux et bien arrosés? Moi je suis un pudique vous savez. Je préfère l'intimité de la dégustation, qui en passant ne se résume pas à évaluer en regardant, car elle implique aussi un contact charnel. Un contact où tous les sens sont dédiés à l'objet du désir, pour continuer sur la note que vous avez initiée.
Claude