J’ai écrit un petit texte récemment à propos de l’importance de la dégustation à l’aveugle. J’avais toujours ce sujet en tête lorsque je suis tombé, sur le forum “La Paulée en Ligne”, sur une proposition de dégustation poussant à l’extrême le concept de l’aveugle. La proposition consiste à tenir une dégustation où les dégustateurs ignoreront l’identité des vins servis, en sachant que cette identité ne leur sera jamais révélée. J’ai été interpellé par cette idée, inspirée d’une anecdote racontée par le vigneron/blogueur Hervé Bizeul qui était dernièrement en visite au Québec. Il avait fait le coup à des amis, sans les prévenir de l’absence de dévoilement final. La suite des choses fut houleuse semble-t-il. Pourquoi donc?
Mon intérêt pour la dégustation à l’aveugle a toujours résidé dans la confrontation possible entre les perceptions sensorielles, en l’absence d’influence, et la réalité révélée à la fin de l’exercice. Mais qu’en serait-il de mon intérêt si l’identité des vins n’était jamais révélée? C’est là une bonne question à laquelle j’ai passablement réfléchi. Depuis que je m’intéresse au vin, j’aime à penser que ce qui compte, c’est ce qui est dans le verre et le plaisir qu’on peut en tirer. Je continue de le penser, mais dans la réalité, au bout du compte, il y a toujours l’identité du vin pour venir sceller l’expérience. Cette identité, qu’elle soit connue dès le départ où à la fin de la dégustation, viendra toujours teinter le jugement final, et ce que l’on retiendra d’un vin. Une partie de l’intérêt pour le vin tient au fait qu’on peut, grâce à cette identité, analyser les choses, et parfois projeter ses idées et ses convictions dans l’appréciation d’un vin. Alors, on s’éloigne passablement de la stricte notion de plaisir. Mais qu’en serait-il de notre intérêt pour le vin, si l’identité de toutes les bouteilles offertes sur le marché était strictement gardée secrète? Bien sûr, une pareille chose serait impossible dans la réalité. Mais si c’était possible. Est-ce que les amateurs passionnés de vin s’intéresseraient toujours autant à ce liquide, si bon puisse-t-il être? Pour la plupart, moi y compris, je n’en suis pas certain.
Chez l’amateur de vin passionné, la passion pour le vin dépasse de loin le strict plaisir que ce liquide peut offrir. Le plaisir potentiel demeure la base de l’intérêt, mais une grande partie de cet intérêt dépasse ce simple aspect. L’amateur passionné a une soif de connaître, d’analyser, et plus il en connaît, plus il aime le fait d’en connaître. Ça devient une spirale ascendante qui se nourrit d’elle même. C’est ce phénomène qui créé les connaisseurs, et le connaisseur n’existe que si le contenu des bouteilles est identifiable. Sans cela, à cause de l’imprécision des sens olfactif et gustatif, l’édifice mental longuement érigé s’écroulerait. Bien sûr, malgré tout, dans un hypothétique monde de vins anonymes, il resterait des vestiges du connaisseur. En dégustation, il croirait reconnaître un Pinot Noir bourguignon ici, un Cabernet californien là, mais jamais la confirmation, la vérité définitive ne viendrait. Le connaisseur progresserait alors à tâtons, totalement laissé à ses sens.
Comme je le disais plus tôt, un tel monde de bouteilles anonymes est impossible, car il n’y a pas que la notion de connaisseur qui s’écroulerait, mais aussi un très gros business. Ce serait un non-sens commercial. Sans étiquettes et appellations prestigieuses, sans grands producteurs, sans l’image de marque et parfois la mystique qu’on projette dans certaines bouteilles, comment les prix pourraient-ils être justifiés. Bien sûr, les grands vins demeureraient de grands vins, mais dans une telle utopie, les sens seraient juges de tout. Si ce "cauchemar" impossible pouvait devenir réalité, je pense que peu de connaisseurs déchus seraient prêts à allonger les mêmes sommes, en se basant uniquement sur leurs sens. Quant à moi, libéré de mes préjugés, sans le savoir, je me mettrais probablement à boire du vin européen!!!
http://www.lapaulee-enligne.com/evenements-degustations-rencontres-f2/se-liberer-du-connu-t585.htm
http://closdesfees.com/blog2/index.php/post/2007/04/27/348-se-liberer-du-connu
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samedi 15 mai 2010
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Salut Claude c'est Olivier.
RépondreSupprimerTu connais également mon intérêt pour la dégustation à l'aveugle; j'ai eu le plaisir de te côtoyer souvent dans ce type d'exercice!
Sans avoir fait la réflexion encore car je viens tout juste de lire ton texte, ce que tu avances me rejoint. Car l'idée de connaitre la «vérité» fait partie du jeu dans ce magnifique monde... C'est un excellent sujet. Je me dis que je n'aurais pas les «guts» de tenir une telle dégustation. Il y aurait certainement des apprentissages à réaliser, mais, ultimement...??
Cette phrase résume bien le tout: « ...le connaisseur n’existe que si le contenu des bouteilles est identifiable.»
Ciao
Olivier
Salut Olivier,
RépondreSupprimerCe type de dégustation est intéressant en théorie, du point de vue philosophique. Ça porte à la réflexion sur notre motivation par rapport au vin. Ça rapproche aussi le vin de la vie elle-même, car il en prend alors le caractère absurde. Mais je pense que l'homme en a déjà assez que la vie soit en apparence absurde, pour le reste, il veut du plaisir, oui, mais il veut aussi des réponses. J'aurais jamais penser un jour faire un lien entre Camus et le vin. Je pense que je vais m'ouvrir une bouteille que je connais bien en relisant L'Étranger!!!