mardi 6 septembre 2011

Repas-dégustaion: La Syrah au Chili


J'ai commencé à m'intéresser aux vins rouges du Chili à la fin des années 90. J'avais été séduit par les vins de Cabernet Sauvignon de ce pays, mais à la même époque le premier vin chilien de Syrah faisait son apparition. Il s'agissait de la Syrah, Reserva de Vina Errazuriz. Je me souviens avoir acheté cinq bouteilles du deuxième millésime de ce vin, le 1997, que j'avais alors beaucoup apprécié. La dernière bouteille fut ouverte une dizaine d'années plus tard, lors d'une dégustation à l'aveugle entre amateurs, et le vin y avait fait très belle figure et aurait pu être gardé plus longtemps encore. Après l'impulsion première donnée par Errazuriz, il a fallu attendre le milieu des années 2000 pour voir apparaître sur le marché une certaine variété en ce qui concerne les vins chiliens de ce cépage. Depuis ce temps cette variété ne ne cesse de croître, tant au niveau des producteurs, que des terroirs utilisés pour sa culture. Il y a plusieurs années maintenant que j'écris que la Syrah est l'étoile montante de la viticulture chilienne et qu'un jour elle rejoindra le Cabernet Sauvignon au sommet. Aujourd'hui, je serais tenté de dire qu'un jour la Syrah sera le meilleur cépage noir cultivé au Chili. Je ne dis pas cela parce que je pense que les Syrahs chiliennes donneront nécessairement de meilleurs vins que ceux de Cabernet Sauvignon, ou bien parce que je pense que la Syrah deviendra le cépage le plus planté du pays. Non. Je dis cela parce que la Syrah est déjà le cépage le plus versatile. Elle est déjà plantée dans plus de régions que le Cabernet Sauvignon, ou tout autre cépage noir. La Syrah a d'abord été plantée dans la partie la plus chaude de la vallée d'Aconcagua, puis par la suite dans la chaude vallée centrale. Mais depuis elle a migré vers des terroirs de plus en plus frais au pourtour de la vallée centrale, et dans les nouvelles régions côtières de Limari, Elqui, Casablanca et San Antonio/Leyda. La Syrah s'accommode donc des mêmes terroirs que le Cabernet Sauvignon, mais elle peut aussi donner d'excellents résultats sur des terroirs trop frais pour celui-ci. Cette fenêtre climatique très large où la Syrah peut évoluer a pour résultat de donner une palette de styles possibles plus variée. Il y a même des assemblages entre terroirs chauds et frais qui sont maintenant possibles. En ce sens, Errazuriz fait encore figure de pionnier. Sa grande cuvée de Syrah, « La Cumbre » intègre, pour la première fois en 2008, 15% de fruits venant du nouveau vignoble côtier de Manzanar. C'est très révélateur quand on pense que ces vignes sont très jeunes, ayant été plantées en 2005. Selon moi cette Syrah de climat frais gagnera en importance dans l'assemblage des futurs millésimes. Une grande cuvée de climat frais est aussi à prévoir pour Errazuriz. Je donne cet exemple juste pour montrer toutes les possibilités futures de la Syrah au Chili dans les années à venir. Un autre élément important à retenir à propos de la Syrah au Chili, c'est son rôle grandissant dans les vins d'assemblage du pays. Finalement, la variable encore mal connue de l'équation Syrah au Chili est le potentiel de garde des vins qui en sont issus. Mais selon l'expérience que j'ai pu accumuler jusqu'à maintenant, je suis très optimiste à ce sujet. L'offre stylistique chilienne en matière de Syrah est déjà très large, mais la garde de ces vins apportera un élément de profondeur qui devrait enrichir substantiellement le nombre de déclinaisons possibles pour ceux-ci.

C'est donc avec ce portrait en tête que je me suis présenté au restaurant Le Local pour un repas-dégustation, à l'invitation de « Vins du Chili », visant à faire découvrir les vins chiliens de ce cépage. La réputée sommelière Élyse Lambert était en charge du choix des vins et de l'accord de ceux-ci avec les trois plats qui furent servis. Elle a aussi fait une bonne présentation, avec une grande carte du pays à l'appui, montrant l'emplacement des différentes régions viticoles chiliennes et leur lien avec la culture de la Syrah. Elle a aussi bien noté la prédominance de l'axe est-ouest sur l'axe nord-sud pour bien comprendre la dynamique des terroirs de ce longiligne pays. Au total, 12 vins nous furent servis en comparaison directe. Comme toujours lors de ce type d'exercice, j'ai trouvé la prise de notes détaillées très difficile, si bien que je me contenterai de donner mes impressions succinctes à propos de chaque vin. D'abord les trois plats avec lesquels les vins furent servis

                             Brick d'agneau façon Empenadas


                             Demi-côtes levées glacées BBQ

                            Fondant au bleu sur cake aux épices


Maintenant les vins sont dans l'ordre de service :



SYRAH, RESERVA, 2009, LIMARI, VINA TABALI  (18.45$ SAQ): Belle expression fruitée, de la fraîcheur et un corps moins volumineux que sur les millésimes précédents. J'ai traité en détail du millésime 2008 de ce vin ici.

SYRAH, 20 BARRELS, 2008, LIMARI, VINA CONO SUR  (26.95$ non dispo.): J'ai déjà commenté ce vin en détail ici. En comparaison directe avec d'autres vins, sa finesse ressort avec encore plus d'acuité.

SYRAH, TERROIR HUNTER, 2009, LIMARI, VINA UNDURRAGA (25$ non dispo.): La déception de la dégustation pour moi avec un fruité bonbon me rappelant certains Beaujolais et certains Malbecs argentins très jeunes. Toutefois, selon mon expérience, ce type de fruité primaire peut disparaître avec quelques années en bouteille. Difficile donc de porter un jugement définitif sur ce vin. 

SYRAH, 2009, ACONCAGUA, VINA ARBOLEDA (19.95$ disp. 2012 SAQ): Ce vin, à ce stade précoce est très marqué par un boisé d'encens typique de cette maison, peu importe le cépage du vin. Au-delà de cela, le vin montre une belle structure et un bon potentiel d'évolution. J'ai traité en détail du millésime 2007 de ce vin ici.

SYRAH, MAX RESERVA, 2009, ACONCAGUA, VINA ERRAZURIZ (18.95$ SAQ): On reste dans la même famille que le vin précédant en ce qui a trait au producteur, et là aussi le caractère boisé domine, mais là aussi il y a un potentiel évident pour une bonne évolution. Dans ce cas-ci je le sais d'expérience, le millésime 1997 de ce vin ayant été mon premier contact avec la Syrah chilienne, et le premier vin sur lequel j'ai testé le potentiel de garde, comme je le mentionnais en introduction.

SYRAH, BAYO OSCURO, 2008, CASABLANCA, KINGSTON FAMILY VINEYARDS(33$ SAQ): Il a eu besoin d'un peu d'aération pour se présenter au mieux, mais c'était le meilleur vin du lot à ce stade. C'est aussi, je pense, le vin provenant du terroir le plus frais parmi les 12 vins en dégustation. J'ai traité en détail du millésime 2007 de ce vin ici.

SYRAH, RESERVA, 2009, MAIPO COSTA, VINA CHOCALAN (16.95$ SAQ): Malheureusement, les trois bouteilles étaient très légèrement bouchonnées, mais Élyse a décidé de le servir quand même. J'ai traité en détail du millésime 2007 de ce vin ici.

SYRAH, COASTAL HILLS, 2008, MAIPO COSTA, VINA SANTA CAROLINA (25$ non dispo.): Tout comme le Chocalan, ce vin provient de la partie ouest de la vallée de Maipo, près de la partie intérieure de cordillère côtière. Ce vin m'est apparu bien équilibré et de belle qualité, mais sans rien qui le détachait des autres. C'est le piège de ce type de dégustation comparative, on cherche l'élément distinctif, et on a tendance à sous évaluer les vins qui sont juste bons, sans être particulièrement distinctifs.

SYRAH, MARQUES DE CONCHA, 2009, BUIN, ALTO MAIPO, VINA CONCHA Y TORO (19.95$ non dispo.): Très bon vin qui est à la hauteur de la qualité de cette gamme. Provient du même vignoble que la nouvelle grande cuvée de Syrah de Concha y Toro, le Gravas del Maipo. Je reviendrai plus tard cet automne sur le millésime 2008 de ce vin que j'ai en cave.

SYRAH, ALPHA, 2008, COLCHAGUA, VINA MONTES (23.30$ SAQ): Ma première réaction face à ce vin a été de me dire que Montes avait mis la pédale douce sur l'usage du bois de chêne. Ça le rend plus abordable à ce stade de prime jeunesse. La qualité de ce vin m'est apparue évidente, et le potentiel de garde certain. Avec le Max Reserva de Errazuriz et le Reserva de Tabali, c'est une des Syrahs chiliennes qui commence à avoir une feuille de route bien établie.

SYRAH/ CARMENÈRE, RESERVE, CURICO, VINA JUNTA (15$ non dispo.): Ce vin a été servi en apéro à cause de son corps léger, mais il était dominé par le caractère végétal des 30% de Carmenère qui entrent dans son assemblage. La Syrah qui compte pourtant pour les deux tiers dans ce vin n'était pas vraiment reconnaissable.

SYRAH/VIOGNIER, GRAN DEVOCCION, 2009, MAULE, VINA MAIPO (19.95$ non dispo.): Le nom du producteur est trompeur car ce vin provient non pas de Maipo, mais bien de Maule, à l'extrême sud de la vallée centrale. Ce vin fut pour moi une belle découverte alliant fraicheur, intensité et belle qualité aromatique. Avec le Tabali, c'était le 2009 le plus accessible en ce moment.



Le constat évident qui peut être tiré de cette dégustation, selon moi, est que les vins étaient de belle qualité, mais très jeunes, et cela transparaissait dans les profils qu'ils offraient. Ce sont des vins à la matière dense, intense et fruitée qui ont beaucoup de présence en bouche. À part pour le Errazuriz et le Arboleda, la présence du bois de chêne n'était pas marquée. Le Bayo Oscuro se démarquait avec son profil de climat frais, même si à mon sens aucun vin ne tombait dans l'archétype Shiraz aux fruits confits. Parmi les douze vins offerts, il n'y en a que deux que je n'achèterais pas, le Junta trop marqué à mon goût par du Carmenère en sous maturité, mais des collègues de dégustation l'ont bien aimé, et le Undurraga, à 25$ je ne prendrais pas de risque sur une possible évolution positive de ce vin. Mes trois vins favoris furent dans l'ordre le Bayo Oscuro, le 20 Barrels et le Vina Maipo, mais pour la troisième place c'était très serré entre plusieurs vins. À noter que mes deux vins favoris sont des 2008, un an de plus en bouteille à ce stade précoce, ça compte.

Ce repas-dégustation fut très intéressant, même si un pour quelqu'un comme moi qui s'intéresse de près aux vins de ce pays, il n'y a pas eu de révélation. Je sais aussi qu'il y avait des contraintes pour le choix des vins. Mais dans un monde idéal, pour rendre au mieux le portrait actuel de la Syrah chilienne, il aurait fallu plus de vins de climats très frais. Des vins de San Antonio/Leyda, et des vignobles côtiers de la vallée de Elqui (Falernia, Mayu, San Pedro). Un ou deux super-premiums du genre La Cumbre, Pangea, Folly, Casa Marin, Matetic EQ ou Gravas del Maipo auraient aussi été intéressants pour donner de la perspective. Finalement, le point le plus important et la plus grande carence du Chili vinicole en général. Il aurait fallu, malgré le court historique de ce cépage en terre chilienne, un ou deux vins d'une dizaine d'années pour montrer le potentiel de garde de ces vins. Le Chili travail très fort pour développer de nouvelles régions, dans le but d'offrir une gamme de styles plus large, mais en même temps il ignore une de ses forces, soit le très bon potentiel de garde de ses vins de type Reserva, soit le genre de vins se vendant autour de 20$ qui nous ont été servis. Je sais d'expérience que le profil de ces vins se métamorphose avec avec une dizaine d'années de garde, et qu'on obtient alors des vins totalement différents. Une Syrah, Max Reserva, 2009, d'Errazuriz, ne ressemble en rien à une Syrah de cette gamme du millésime 1999. Moi je peux faire cette comparaison car j'ai encore le 1999 en cave, mais les producteurs chiliens, surtout lors d'événements comme ce repas-dégustation, devraient être capables de fournir quelques bouteilles plus âgées. En ne le faisant pas, il laisse de côté une chose facile à faire, peu dispendieuse, et qui contribuerait fortement à changer l'image de leurs vins dans la perception de ceux qui auraient la chance de vivre cette expérience. En pouvant constater l'effet de la garde, le regard porté sur les vins en prime jeunesse changerait. Pour gagner du terrain dans un marché europhile comme celui du Québec, un marché qui a une culture grandissante de la garde et du vin évolué, faire connaître ce potentiel des vins rouges chiliens, dont ceux de Syrah, serait un élément très important. Surtout que garder du vin est tellement plus facile et moins coûteux que développer de nouvelles régions pour la viticulture. Le Chili a juste besoin d'une prise conscience à cet égard. Personnellement, il y a déjà longtemps que j'ai réalisé le potentiel de garde des rouges chiliens de type Reserva. Ma cave en est remplie, et avec de plus en plus de vins de Syrah. Mon propos à ce sujet se veut juste un appel aux chiliens pour qu'ils exploitent une de leur force qu'ils semblent ignorer. Il faut parfois être de l'extérieur pour voir certaines choses.



2 commentaires:

  1. Salut Claude,

    Au sujet du potentiel de viellissement des reserva chiliens; dirais-tu qu'on pourrais les comparer aux reserva espagnols (comme par exemple le Gran Corona de Torres pour ne pas le nommer)?

    Sous les 20$, ils offrent généralement d'excellent potentiel 8-12 ans. Naturellement, on ne parle pas des même cépages, mais en terme de qualité de produit.

    Thomas

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  2. Salut Thomas,

    Selon mon expérience, un bon Cab Reserva chilien de 10 à 15 ans d'âge se compare plus en terme de niveau qualitatif au Mas La Plana de Torres que j'ai eu la chance de goûter plusieurs fois. Le Gran Coronas ne m'est jamais apparu de ce niveau en jeunesse, ce qui fait que je n'en ai jamais mis de côté. Je sais que les Passédates sur FDV (Jules et Pierrette) ont eu de bonnes expériences avec la garde de ce vin.

    Pour le reste, à mes débuts, je me souviens que j'avais gardé quelques espagnols de prix abordables pour voir. Je me souviens du Dominio del Arenal 2001, une grappe d'or de Phaneuf, et le résultat avait été très décevant. Je ne généralise pas bien sûr à l'ensemble des espagnols sous les 20$. Il y a sûrement des perles dans le lot. Tout ce que je sais avec certitude, c'est qu'avec les rouges chiliens il est difficile de se tromper et que ces vins ne font pas que durer, ils se transforment vraiment en autre chose.


    Claude

    *

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