dimanche 6 juin 2010

Quelle est la plus pure expression du terroir?

Depuis que je m’intéresse au vin, j’ai toujours été un peu mal à l’aise avec un certain langage, qui si il était utilisé à propos d’autre chose pourrait donner froid dans le dos. On aime y parler de classe, de race, de pureté, de supériorité innée, de grandeur, d'ordre, de naturel. On aime aussi y parler d'authenticité. On aime y distinguer le vrai du faux. Pour plusieurs amateurs enflammés, le “vrai” vin est un don de la nature où l’intervention humaine est la plus restreinte possible. La nature, dans son expression supérieure, serait pure et vraie, et l’action humaine altérerait, cette vérité, cette pureté. Donc, selon les tenants de cette vision, il faudrait le plus possible éviter de changer ce qui est naturel pour atteindre les meilleurs résultats possibles. La sélection clonale de la vigne serait à proscrire, tout comme les pesticides et herbicides dans la culture de celle-ci. Au chai, il faudrait fermenter seulement avec des levures indigènes, en utilisant peu ou pas de sulfites. Il faudrait manipuler le vin le moins possible en utilisant que des techniques traditionnelles. Il faudrait éviter l’ajout de tout produit exogène, et ne pas coller ni filtrer le produit final. Tous ces éléments favoriseraient, selon les tenants de cette approche, l’obtention de vins authentiques, de vrais vins de terroir.

Étant biochimiste de formation, j’ai beaucoup de difficulté avec cette vision idyllique des choses. N’empêche. Chaque fois que je lis de pareilles affirmations, je me sens un peu comme un amateur de “sous-vins”, de “faux vins”. Peut-on s’intéresser aux vins du Nouveau-Monde et s’intéresser au “vrai vin”? Pour aggraver mon cas, je m’intéresse en particulier aux vins du Chili. Un pays dont la production est axée très majoritairement sur l’exportation, et contrôlée surtout par des entreprises de bonnes tailles. Ces entreprises ont tendance à adapter leurs vins aux demandes du marché. Il n’y a pas de vision singulière, de désir d’authenticité, derrière la plupart des vins qu’elles produisent. Même la redécouverte et le développement d’un cépage comme le Carmenère ne vient pas d’un désir d’originalité. C’est le résultat d’une certaine incompétence historique. Comme vous pouvez le voir, avec mon intérêt pour le Chili et ses vins, ma place semble loin d’être assurée au rayon des amateurs de “vrais” vins. Le syndrome de l’imposteur me guette!!!

Vous vous demandez peut-être où je veux en venir avec ce préambule un peu convenu sur l'approche naturelle et minimaliste qui confine au vrai et au faux? Voici. Dans mes lectures vinicoles récentes, je suis tombé sur deux passages entre lesquels j’ai fait un lien, et qui m’ont amené à la réflexion que j’expose ici. Le premier est tiré d’un texte français traitant du cépage Syrah dans le Rhône septentrional. Ça va comme suit:

La syrah présente une fertilité modérée ce qui joue positivement sur l’aspect qualitatif du vin produit ; de plus, le porte-greffe SO4 a été abandonné dans cette région, car il entraînait une baisse du potentiel aromatique et une dilution de tous les caractères (couleur, sucre, tanin) du fait de plus gros rendements. Les porte-greffes les plus couramment utilisés sont le Couderc 3309 sur schistes et granite et le 164R sur argilo-calcaires

Le deuxième est une traduction libre de ma part, tirée d’un texte du britannique Tom Cannavan du site “Wine-Pages”:

Toutes les vignes de De Martino sont plantées sur leurs propres racines. “Si vous changez les racines, vous changez le lieu” dit Eduardo. “Si vous plantez du Cabernet au même endroit, sur trois différents porte-greffes, tous auront un goût différent, donc évidemment les porte-greffes ne permettent pas la plus pure expression du terroir”

Le lien que j’ai fait entre ceux deux extraits m’a remonté un peu le moral... Bien sûr, je n’ai jamais vraiment pensé être amateur de “faux vins”. Je ne crois pas à ce type de catégorisation méprisante. Mais quand même, je me disais qu’à ce jeu alambiqué du vrai et du faux, les vins chiliens avaient au moins un argument de poids en leur faveur. Personnellement, j’ai toujours pensé qu’une partie du caractère distinctif général de ces vins venait du fait que la très grande majorité des vignes de ce pays poussent sur leur propres racines, contrairement à ailleurs au monde, et que la nature des racines a une influence sur le profil général des vins. Bien sûr, le lien avec la pureté et l’approche minimaliste m’a été inspiré par la citation d’Eduardo Jordan, oenologue et découvreur de nouveaux terroirs chez De Martino, au Chili. Il est quand même ironique de penser que tous ses tenants du naturalisme posent un geste fondamentalement contraire à ce qu'ils prônent, et ce, dès la plantation de leurs vignobles. Il me semble y avoir là une contradiction troublante. Pour rester dans le ton, j’oserais dire un péché originel. Il faudrait préserver des levures indigènes, essentielles à l’authenticité et à la qualité des vins, mais dès le départ on peut changer les racines pour celles venant d’autres espèces de vignes, et souvent croisées entre elles par l'action humaine. En ce sens, l’affirmation d’Eduardo Jordan me semble jeter un sérieux pavé dans la mare des amants de l’idée d’authenticité naturelle.

Personnellement, je ne crois pas que les vins chiliens soit les plus purs, ou les plus athentiques, car issus de vignes non-greffées. Toutefois, je pense que cette particularité doit être tenue en compte lorsqu’on aborde ces vins. Je pense qu’étant conscient de cette particularité, on peut regarder le Chili et ses vins d’un autre oeil. Qu’on le veuille ou non, ce pays, de par la nature même de sa viticulture, produit à la base les vins les plus naturels au monde. Si on ajoute à cela le fait qu’il s’agit du pays présentant les conditions les plus favorables à l’agriculture biologique. Je pense qu’il faudrait aborder ce pays vinicole de façon différente, car c’est un endroit vraiment particulier pour produire du vin, et ce faisant, ceux-ci ne peuvent qu’être distinctifs, car différents à la base de 99% de ce qui est produit ailleurs dans le monde. Ajoutez à cela une mosaïque grandissante de terroirs et de cépages, et le tableau est encore plus riche.

Finalement. Pour répondre à la question de départ. Je ne crois pas à la pureté naturelle, même si les excès humains existent. J’ai toujours prôné que le vin n’était pas un produit naturel, mais une création humaine découlant d’un contrôle éclairé de la nature. Je pense aussi qu’il faut faire attention avec les catégorisations manichéennes. Le vin est un liquide issu de processus biochimiques complexes, mais il devrait être abordé simplement, en évitant d’y projeter des valeurs qui lui sont étrangères.

http://www.1001vins.net/1001_VINS/la_syrah.html

http://www.wine-pages.com/organise/de-martino.htm


*

3 commentaires:

  1. Très intéressant

    René

    RépondreSupprimer
  2. Très intéressant comme réflexion, surtout venant d'un "imposteur"!

    Merci de continuer à partager ta passion pour le Chili. Tu nous fais faire de belles découvertes.

    Pierrette et Jules

    RépondreSupprimer