Je suis tombé aujourd’hui sur un texte du blogueur américain Alder Yarrow qui réagissait à un autre texte de Matt Kramer du Wine Spectator à propos de ce qui fait qu’un vin vaut la peine d’être gardé (voir les liens). Autant la réponse de Yarrow m’a plu par son côté terre à terre basé sur une expérience de première main. Autant le texte de Kramer, comme c’est souvent le cas lorsqu’il est question de ce qui fait un vin de garde, m’a semblé faire dans le flou artistique, assaisonné d’un brin de prétention et d’ignorance. Je dis ignorance, car il semble que M. Kramer ne met pas souvent de vins peu réputés de côté. Je ne mets pas en doute son expertise pour la garde des vins de renom, mais pour les vins qui tentent de se faire un nom, ou même pour ceux qui n’ont pas cette prétention, son expérience me semble très limitée, et partant, son analyse hasardeuse.
À mon avis, il n’y a rien de plus difficile que de prédire le potentiel de garde d’un vin lorsqu’on en ignore l’identité. Au contraire, lorsqu’on en connaît l’identité, celle-ci prend le dessus sur le vin lui-même pour déterminer son potentiel de garde. Malheureusement, avec les nombreux changements techniques qui ont été introduits ces dernières années dans l’élaboration des vins, même l’historique des noms renommés ne peut plus servir de guide infaillible. Les problèmes d’oxydation prématurée des bourgognes blancs en sont un bon exemple. Aussi, toute l’argumentation de M. Kramer concernant le potentiel de transformation, par rapport à la capacité d’endurance, me semble relever de la pensée toute faite, du cliché. Contrairement à ce qu’il affirme, tous les vins se transforment avec l’âge. Ce qui varie, c’est la durée de la transformation et la qualité du résultat. Des vins qui ne changent pas au niveau aromatique et structurel, puis qui meurent spontanément. Ça n’existe pas. Ce qui existe toutefois, ce sont des vins qui se transforment pour le pire, plus ou moins rapidement.
Ceci dit, la meilleure façon de connaître le potentiel de garde des vins qui suscitent notre intérêt, c’est encore de prendre le risque de les garder. Il n’y a pas de substitut pour ça. Toutefois, il ne faut pas garder du vin en pensant qu’au bout du processus il y aura nécessairement une révélation extraordinaire. Ce qui est intéressant dans la garde du vin, c’est le processus, incluant la variabilité des résultats dans le temps. Ce qui est intéressant, comme le mentionne Alder Yarrow, c’est de suivre le vin dans le temps. Personnellement, ce que j’aime faire, c’est acheter plusieurs bouteilles d’un même vin, au minimum quatre bouteilles, et parfois même une caisse complète pour les vins qui me semblent les meilleurs achats. Ensuite, le plaisir c’est d’ouvrir des bouteilles à intervalles plus ou moins longs, selon la qualité des résultats obtenus en cours de route, de la vitesse d’évolution, et du nombre de bouteilles achetées. Cette façon de faire ajoute un plaisir intellectuel au plaisir sensuel, en plus de donner des vins avec des profils que seule la garde peut procurer. Dans mon cas, étant donné mon intérêt pour les vins abordables, de pays peu renommés, et que je considère de forts RQP. Un autre plaisir s’ajoute dans le processus de garde, soit celui de faire des trouvailles en allant là où peu d’amateurs vont. Choisir un vin renommé pour la garde va de soi. Il n’y a pas de mérite particulier à le faire, sauf peut-être celui d’avoir le goût et la patience de le faire. Mais de miser pour la garde sur un vin non reconnu pour une telle application, cela apporte une réelle satisfaction lorsque le pari osé est heureux. On développe un sentiment personnel par rapport aux vins de ce type qu’on a choisis. Ceux-ci deviennent en quelque sorte notre création. Car sans l’audace de les avoir mis de côté, ces vins improbables n'auraient jamais pu se faire. Ils n’auraient jamais existé. Ils auraient été bus avant.
En conclusion, je dirais qu’il ne faut pas avoir peur de garder des bouteilles de prix abordables. Il faut toutefois bien sélectionner les candidats. Il y a plus de vins de prix abordables valant la peine d’être gardés que ne le disent les experts comme Matt Kramer. Faites l’exercice. Vous verrez bien que j’ai raison.
http://www.vinography.com/archives/2010/08/the_mysteries_of_time_and_wine.html
http://www.winespectator.com/webfeature/show?id=43281
*
jeudi 5 août 2010
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Bravo et que le mystère continu.
RépondreSupprimerBadia.
Très intéressant, ce post. J'ai bien aimé le commentaire d'un des répondants sur le lien vinography, Steve, qui dit que s'il ne s'était fié qu'aux gros chiffres des supposés experts, il aurait manqué une expérience formidable, celle de voir, suite à l'achat de plusieurs bouteilles, la transformation d'un vin à prix abordable.
RépondreSupprimerMerci Claude.
Pierrette
Je viens de voir qu'on cite ce post en référence sur Vin Québec.
RépondreSupprimerBravo Claude!
PasséSdate
Salut Pierrette et Jules,
RépondreSupprimerOui, J'ai vu ça moi aussi. C'est bien gentil de la part de Marc André Gagnon de Vin Québec qui avait déjà référencé le blogue dans la section "Liens" de son site. J'en profite d'ailleurs pour le remercier.
Claude
Marc-André Gagnon de Vin Québec rapporte les grandes lignes d'un autre article de Matt Kramer sur la garde du vin. Cette fois il semblerait qu'à cause du modernisme, garder un vin plus de 10 ans n'est plus nécessaire. Ça me semble une affirmation provocatrice plus qu'autre chose.
RépondreSupprimerM. Kramer ne semble pas voir de lien continu dans la garde du vin, et c'est là, selon moi, où il passe à côté de l'essence du sujet. La garde du vin consiste à permettre une évolution, une transformation du vin, et non une bonification marquée après un temps donné. On peut apprécier tout autant le même vin à différents stades de son évolution, comme on peut apprécier des vins de cépages ou de régions différentes. L'intérêt de la garde n'est pas d'obtenir quelque chose de nécessairement meilleur, cela est question de goût, mais quelque chose de différent. En ce sens, je pense sincèrement qu'il y plein de vins actuels qui seront loins d'avoir tout dit après 10 ans de garde. On peut aimer également des choses bien différentes.