Le titre de mon blogue ne tient pas tant de mon intérêt pour les vins de l'hémisphère sud que de mon sentiment de ne pas percevoir le merveilleux monde du vin de la même façon que la majorité des gens qui s'y intéressent. Il faut dire que je suis un scientifique, ce n'est pas nécessairement un facteur déterminant pour orienter une vision, mais ça fait quand même partie de l'équation de base. J'ai une formation en biochimie et je travaille en chimie de synthèse de molécules bioactives dans le domaine pharmaceutique. Voilà qui devrait tout expliquer et finir d'achever ma crédibilité pour ceux que la science révulse. Toujours est-il qu'il y a des liens à faire entre le milieu pharmaceutique où j'évolue et le monde du vin. Dans ce milieu, pour tester l'efficacité d'un candidat médicament, il faut généralement procéder à des études cliniques à double insu, contrôlées par placebo. C'est-à-dire que celui qui administre, et le patient qui reçoit, ignorent tous deux si ce qui est administré est le candidat médicament, ou un placebo. Cette pratique est fondamentale dans ce milieu et pour moi il y a un parallèle à faire entre celle-ci et la dégustation en pure aveugle du vin. Le cerveau demeure de loin l'organe le plus complexe et le moins bien compris, mais il est très puissant et exerce une forte influence sur l'ensemble de la physiologie humaine, la plupart du temps à l'insu de notre conscience, mais parfois à cause de cette conscience. Un autre point très important dans le milieu pharmaceutique est la stabilité des médicaments dans le temps. Des études longues et poussées doivent être menées sur la stabilité des médicaments avant leur mise en marché. C'est un point très important pour s'assurer de la sécurité et de l'efficacité de ce que le patient va recevoir. Ces études de stabilité sont menées sur une large plage de températures, avec un suivi dans le temps, tout cela pour bien comprendre les mécanismes de dégradation et pour déterminer la température idéale de conservation d'un médicament donné. Là aussi il y a un parallèle à faire avec le vin. La stabilité de celui-ci étant reliée à sa nature et à ses conditions de garde, la plus déterminante étant la température.
Avec mes connaissances en stabilité pharmaceutique, et en ajoutant celles sur la stabilité des produits chimiques gardés au laboratoire. J'ai toujours été surpris de la température de garde fortement suggérée pour le vin de 12°C. Ma surprise ne venait pas tant de la valeur de cette température, mais de l'importance critique qu'on y accordait. Selon mon expérience 12°C me semblait un bon choix de température, mais ça ne m'était jamais apparu comme un élément critique en terme de valeur précise. D'un point de vue strictement chimique, la différence entre une garde à 12°C et une garde à 20°C, par exemple, devrait être minime. C'est toujours ce que j'ai pensé et je suis convaincu de la validité de mon point étant donné que je garde mes vins dans une cave passive où la température monte parfois jusqu'à 22°C durant la canicule estivale. Je dois toutefois préciser que la majorité de ces vins sont filtrés et adéquatement sulfités. Ceci dit, au fur et à mesure de ma progression dans le monde du vin, de mes lectures, mais surtout de mes expériences de dégustation, en particulier avec les vins européens de gamme supérieures. J'ai compris l'importance accordée au fameux 12°C et la raison pour laquelle plusieurs en parlent comme d'une nécessité. Cette température est nécessaire non pas pour ralentir l'évolution chimique des vins, mais bien pour freiner l'activité biologique des micro-organismes vivants qui dans bien des cas sont encore présents dans le contenu de la bouteille. Je dirais même que dans ces circonstances, 12°C est une température légèrement insuffisante. Quelques degrés de moins seraient encore mieux. Aussi, dans ces conditions, on comprend mieux la tradition européenne du vin très sec, les sucres résiduels pouvant servir de nutriment pour permettre l'activité des bactéries et levures vivantes toujours présentes dans de nombreuses bouteilles.
Si je parle de ce sujet aujourd'hui, c'est que dans mes lectures récentes, suite à la discussion concernant mon texte précédant. Je suis tombé sur un article très intéressant qui relate des résultats à propos de la présence de micro-organismes dans le vin en bouteille. Toutes les bouteilles analysées dans cette étude, qui comprenait des millésimes allant de 1909 à 2003, contenaient des levures et/ou des bactéries. Fait particulièrement intéressant, un type de levure s'est révélé présent dans toutes les bouteilles analysées, vous l'aurez peut-être deviné, il s'agit bien sûr des Brettanomyces! Encore et toujours ces fameuses levures qui ont si longtemps donné le fameux goût de terroir aux vins européens réputés! Avec les modes actuelles de la non filtration et du « naturel », il est certain que cette situation perdure dans beaucoup de vins, les moins industriels étant les plus susceptibles. L'ironie c'est que ce sont ces vins qui sont généralement gardés par les amateurs. Aussi, avec la diabolisation des sulfites, qui se traduit souvent par une réduction des doses ajoutées, et parfois par l'élimination complète de ce produit pour les amants de la nature, les vins contenant toujours du matériel fermentaire vivant sont encore moins stables sans l'effet bactériostatique des sulfites. C'est une raison de plus pour les garder à une température très fraîche. La réduction des doses de sulfites contribue aussi aux problèmes d'oxydation prématurée des vins. À ce sujet, il est important de noter que la garde à 12°C, ou moins, aide à garder des sulfites plus longtemps dans la bouteille, et ce faisant contribue à ralentir l'oxydation du vin. Comme je le mentionnais dans un texte précédant, les sulfites disparaissent graduellement du vin en bouteille avec le temps. Plus faible est la température du vin et plus lente sera cette dispartion, simple principe de physico-chimie. Pour les vins sulfités non stériles, la garde au frais a donc le double avantage de ralentir l'activité micro-biologique et l'oxydation du vin.
Contrairement à l'image que je peux donner, je ne suis pas dogmatique en matière de vin. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et d'avoir ses préférences. Par contre, je suis pour la divulgation de l'information pertinente permettant à l'amateur averti de faire des choix selon ses préférences. Je suis aussi pour l'honnêteté dans le discours. J'aime appeler un chat, un chat, mais c'est malheureusement très rare dans le monde du vin ou on préfère souvent enrober les choses d'une couche de mystère. La fameuse magie du terroir qu'on nous sert à toutes les sauces, très peu pour moi. Quand j'achète du yogourt, je sais qu'il contient des bactéries vivantes. Comme acheteur de vin, j'aimerais aussi le savoir car la présence de micro-organismes vivants dans une bouteille de vin a une influence déterminante sur ses propriétés face à la garde, et sur le profil aromatique qu'elle donnera à terme. C'est une information qui me semble fondamentale dans une optique de garde, mais dont pratiquement personne ne parle.
Article précédant relié à celui-ci
Brettanomyces bruxellensis : Etude Métabolique, Cinétique et Modélisation. Influence des facteurs environnementaux
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J'ai ajouté à la fin de mon texte un lien vers un article précédant où je parlais aussi de la présence de micro-organismes vivants pouvant être présents dans le vin en bouteille. Je n'avais alors pas de référence sur le sujet pour supporter cette affirmation. Il est donc intéressant aujourd'hui de faire le lien. Ça rajoute un brin de sens à mon hypothèse d'alors pour expliquer le plus haut taux de bouchonnage dans les vins de gammes supérieures par rapport aux vins moins chers. Ceci dit, comme je le mentionnais alors dans mon texte. Ça demeure une hypothèse, rien d'autre, mais si elle s'avérait valide, ça voudrait dire que pour les vins contenant toujours des micro-organismes vivants, une cave très fraîche pourrait aussi atténuer certains cas de bouchonnage.
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Petit rappel. J'aime recevoir des réactions à mes écrits. Même si on est en total désaccord avec moi, je publie les commentaires en autant que le ton soit respectueux.
RépondreSupprimerClaude
Trois points (exprimés respectueusement) :
RépondreSupprimer1) Un article vraiment pertinent, avec de très bons points et une mise en garde sur le rôle de la température basse pour garder l'activité microbienne en bouteille à un niveau aussi bas que possible.
2) Par contre ,le passage
"C'est toujours ce que j'ai pensé et je suis convaincu de la validité de mon point étant donné que je garde mes vins dans une cave passive où la température monte parfois jusqu'à 22°C durant la canicule estivale. [...] Cette température est nécessaire non pas pour ralentir l'évolution chimique des vins, mais bien pour freiner l'activité biologique des micro-organismes vivants qui dans bien des cas sont encore présents dans le contenu de la bouteille."
me semble problématique : en tant que scientifique tu sais qu'à moins d'avoir fait au moins une comparaison précise entre une garde de tes vins dans deux conditions fort différentes (disons chez toi, avec les variations estivales et une température constante de 12 degrés)il est difficile d'être convaincu du rôle ou pas de la température sur le ralentissement de l'évolution du vin au fil des ans.
Je ne comprends pas d'ailleurs en quoi ce rôle de la température a rapport avec le but de l'article. Pourquoi affirmer que le rôle de la température basse n'est pas principalement de ralentir l'évolution des vins? Oenologue, vignerons, techniciens du vin semblent sur le fait que les caves froides à l'année ralentissent l'évolution d'un vin de façon très claire.
3) Il arrive souvent à des dégustateurs de rencontrer des vins de 10, 15, 20 ans qui sont plus fatigués qu'ils ne le devraient, pas à cause de faute organoleptique manifeste, mais tout simplement parce que le vin est à un stade plus évolué qu'il ne le devrait. Comme dans le cas de bouteilles vieillies en succursale SAQ pendant 2-3 ans... Comment réconcilier ceci avec ce que l'article ci-dessus exprime?
Olivier,
RépondreSupprimerTu remarqueras que j'ai écrit que j'étais « convaincu » qu'une différence entre une garde à 12°C et une autre à 20°C n'est pas pas critique du point de vue de la vitesse de l'évolution chimique des vins filtrés et bien sulfités. Je parle donc d'une conviction personnelle, et non pas d'une certitude scientifique. C'est mon blogue ici, j'ai bien le droit d'y exprimer mes convictions, même si la plupart du temps je tente d'apporter des faits appuyés par des données scientifiques. Au-delà de cela, c'est bien entendu au lecteur de porter un jugement sur la validité des convictions que j'ose exprimer.
Il est donc très clair que mon argument à propos de ma cave passive ne passerait jamais le test de la rigueur scientifique. Ceci dit, j'aurais pu ajouter d'autres exemples d'expériences personnelles, comme le fait que la garde d'une trentaine de mes bouteilles tout un été dans un appartement non climatisé a mené à ma découverte des Bretts. Toutes les bouteilles avaient très bien supporté ce traitement un peu extrême, sauf un Merlot, Cuvée Alexandre, 2000. Le premier millésime de cette cuvée élaboré avec des levures indigènes. C'était aussi un vin non filtré. Le résultat avait alors été catastrophique. Un des pires vins de ma vie, avec un vin du Châteaux, Le Puy, lui aussi totalement déviant. J'aurais aussi pu ajouter l'exemple d'un Cab, Antiguas Reservas, 1991, gardé pendant 10 ans dans une armoire de cuisine, Ce vin a été bu à l'aveugle, en 2009, dans une dégustation de groupe. Le vin avait très bien paru pour tous les participants. Il était vraiment impeccable et parfaitement intègre. J'ajoute ces exemples, et j'aurais pu en ajouter d'autres, simplement pour montrer que l'expérience personnelle contribue à forger des convictions, sans qu'elles n'aient pour autant une valeur scientifique
Limite de caractères, suite au prochain message.
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Si on se concentre uniquement sur la science, je suis ravi de voir que tu lui prêtes une valeur déterminante, mais malheureusement, tu ne m'apportes pas de données scientifiques pour mettre à mal ma conviction. Les fameux VES, ont en entend beaucoup parler, mais ça demeure aussi dans le registre de l'expérience personnelle. De plus, pour coller à ce que j'avance, on ne sait pas si les complaintes à ce sujet sont à propos de vins stériles ou biologiquement actifs. Si les vins problématiques contiennent des micro-organismes vivants, cette histoire de VES vient plutôt me conforter dans ma conviction. Néanmoins, je te concède que la manière avec laquelle je me suis exprimé sur le sujet n'avait pas toute la clarté et la rigueur qu'un lecteur pointilleux et dubitatif aurait pu exiger. Ça manquait de nuances et de détails pour parfaitement illustrer mon point de vue. Je vais donc tenter de le faire ici. Si une étude scientifique comparative était menée sur la garde du vin, avec quatre paramètres variables. La première variable étant le contenu en micro-organismes vivants des bouteilles, incluant des vins stériles. La deuxième variable étant le taux de sulfites à l'embouteillage. Les deux dernières variables de cette étude hypothétique étant la température et le temps de garde. Tout le reste étant égal. Je suis convaincu que le vin qui évoluerait le plus lentement serait le vin stérile bien sulfité, gardé à la température la plus basse. Je suis aussi convaincu que le vin qui montrerait le moins de différences d'évolution dans le temps en rapport avec la température de garde serait encore le vin stérile et bien sulfité. Pour faire le lien et revenir à l'exemple que je donnais dans mon texte, à propos de ce vin stérile et bien sulfité, indicateur de l'évolution chimique pure. Je pense toujours que l'écart entre une garde à 12°C et une autre à 20°C ne serait pas critique car selon moi l'écart de vitesse d'évolution chimique entre ces deux températures est faible. Ceci dit, je suis aussi convaincu qu'il y aurait un écart et que celui-ci pourrait varier selon la nature des vins. Par exemple, pour les vins blancs, mon affirmation n'est probablement pas valide. J'aurais dû le mentionner. Aussi, j'ai négligé de m'exprimer sur la variable temps qui bien sûr est très importante. Je pensais que c'était implicite. Mais à propos du temps, il est clair que pour une très longue garde, la différence de températures évoquée deviendrait significative à un moment donné. J'espère avoir clarifié mon propos et mieux expliqué la source de ma conviction.
RépondreSupprimerClaude
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Merci Claude pour les précisions.
RépondreSupprimer"Je pense toujours que l'écart entre une garde à 12°C et une autre à 20°C ne serait pas critique car selon moi l'écart de vitesse d'évolution chimique entre ces deux températures est faible."
Je ne connais pas la différence de vitesse de réactions chimiques dans le vin entre 12 et 20 degrés, mais si ces températures sont CONSTANTES (ce qui n'est pas le cas d'une cave passive, où la température est bien froide l'hiver et un peu trop haute l'été), une garde constante à 20 degrés sur 5 à 10 ans me semble catastrophique pour la plupart des vins.
Ceci dit, je ne suis pas au courant d'études montrant qu'une variation de température lente et annuelle (disons de 8 à 20 degrés) soit vraiment moins bonne pour l'évolution du vin qu'une température constante de 12 degrés. Il y a un "trade off" subtil entre encourager une évolution graduelle (bénéfique), sans créer des profils organoleptiques fatigués.
Ce qui est connu est que les bouteilles les plus fringantes de vins âgés proviennent toujours des sections les plus froides de la cave d'un domaine. Ainsi on peut par exemple déguster des vins de Vouvray gardés 20-30 ans dans des caves creusées à même la roche - qui dépassent à peine 12 degrés en pleine canicule l'été - et ces vins sont d'une jeunesse prodigieuse, tant à la robe, qu'au nez ou en bouche.
Olivier,
RépondreSupprimerLe point crucial de mon texte concerne la différence entre vin stérile (filtré) et bien sulfité, par rapport aux vins contenant des micro-organismes vivants et ayant peu ou pas de sulfites à l'embouteillage. La discussion doit avoir lieu sur cette base, sinon on parle d'autre chose. La transformation moléculaire sans activité enzymatique est très lente et se passe par des voies d'oxydation lente. Le vin stérile est préservé de la puissante activité enzymatique, alors que le vin bien sulfité est mieux protéger de la douce oxydation. C'est pourquoi je suis convaincu que la température de garde est moins critique dans ce cas précis, ceci dit en tenant compte des nuances déjà exprimées. De plus, comme je l'expliquais précédemment, mon expérience personnelle contribue à cette conviction.
Claude
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Je viens juste de découvrir votre blogue et je suis ravis de voir quelqu'un a une approche plus scientifique face au vin.
RépondreSupprimerSi je peux rajouter mon 2 cents de biochimiste pour clarifier un peu pourquoi au point de vu chimique il n'y a pas beaucoup de différence entre 12 et 20 degrés tandis que d'un point de vu biologique c'est tout un monde.
Premièrement du côté chimique. La stabilité des composés chimiques est normalement calculé en degrés kelvin. Or 12 degrés Celsius est 285 degrés kelvin et 20 degrés Celsius est 293, soit un changement de moins de 3%. C'est donc une très petite différence. Et c'est pourquoi, la stabilité chimique d'un vin stérile ne sera pas beaucoup affecté.
Pour une levure ou une bactérie c'est complètement différent parce que leur réactions chimiques dépendent de leurs enzymes. Ceci dit, les enzymes ont un "sweet spot", une température à laquelle elles sont plus performantes. Pour les levures (de type cerevisiae du moins) c'est autour de 30°C. Si la température est inférieure, l'enzyme ne fonctionne pas aussi bien et la réaction se fera plus lentement. Si on prend l'exemple d'une enzyme qui performe à 100% à 30°C et à 0% à 0°C (et qu'on assume que le taux est linéaire entre les deux), on fait passer l'efficacité de l'enzyme de 40% à 12°C à 67% à 20°C. Ce qui est énorme en comparaison.
En d'autres mots, la dégradation chimique d'un vin dans le temps ne sera pas tellement affecté par ces changements de température, mais les réactions enzymatiques changerons de façon dramatique.
Vincent
Binjour Vincent,
RépondreSupprimerIl faut voir au-delà de l'activité d'une enzyme libre dans le vin et penser en fonction de l'activité métabolique des micro-organismes vivants en fonction de la température. La réalité, c'est que sous les 15°C la plupart de ceux-ci sont en période de latence et métaboliquement inactifs. Donc, à 12°C l'aspect biologique de l'évolution du vin est négligeable, voire nul. Ceci dit, il y a bien d'autres paramètres qui peuvent influer sur l'activité des microorganismes. J'ai ajouté un lien au bas de mon texte de départ menant vers un document qui permet d'apprécier la complexité du sujet.
Claude
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