samedi 13 décembre 2014

Paradoxe chilien (suite)

Pour faire suite à un premier article sur le sujet, je suis tombé sur un autre texte d'un chroniqueur-vin canadien anglais à propos du Nouveau-Chili, du Chili 2.0.. Un autre texte qui tente de trouver un remède à ce que j'appelle le paradoxe chilien. Cette fois ça vient de la Colombie-Britannique sous la plume de Anthony Gismondi. Son texte m'a laissé perplexe car sa solution consisterait à augmenter les prix des vins pour mieux refléter leur qualité. Je comprend mal comment on peut reprocher à un pays d'offrir des vins de qualité à des prix trop abordables. Je sais que l'effet Veblen existe et que l'image de prestige compte pour beaucoup dans le monde du vin, mais il me semble que vendre le vin plus cher n'est pas la solution pour ce pays. Ceux que le Chili rebute de façon irrationnelle. Ceux qui ne s'intéressent pas aux vins chiliens juste parce qu'ils viennent du Chili n'en achèteront pas plus si le prix de ces vins augmente. La seule façon de voir les prix de ces vins augmenter sainement serait que les leaders d'opinion en parlent et en reconnaissent la qualité et le RQP très favorable d'une bonne partie de ceux-ci. Malheureusement, il semble y avoir un mur psychologique infranchissable pour les vins chiliens. Pour quelqu'un comme moi qui en a fait son pays de prédilection, justement à cause du RQP général incroyable qu'offre ces vins, ce phénomène dépasse l'entendement. Il y a des vins mauvais et ordinaires au Chili comme ailleurs, mais pour peu qu'on s'y intéressent, les aubaines sont tellement nombreuses et ce jusqu'à des niveaux qualitatifs très élevés qu'il est difficile de comprendre qu'ils ne soient pas plus reconnus.

Je lisais hier un fil de discussion sur le forum LPEL où l'on parle du phénomène de la mode branchée dans le monde du vin et comment un certain type d'amateurs et de professionnels n'aiment que ce qui est petit et à la marge et rejettent tout ce qui est établi ou peut sembler mercantile. La manière de penser de ce milieu à la mode défie la raison. On rejette de grandes régions et de grands vins pour des raisons purement idéologiques, des raisons qui sont étrangères au vin lui-même. Dans le cas du Chili, il me semble qu'un phénomène analogue opère. Les vins de ce pays sont rejetés par les amateurs se voulant sérieux simplement à cause de leur origine et de l'idée qu'on y associe. En ce sens, le Chili est rejeté à gauche comme à droite. Le Chili est un pays où les gros producteurs contrôlent la majorité de la production, alors c'est un péché mortel à gauche, alors qu'à droite on ne s'intéresse pas à des vins de grands groupes qui peuvent vendre à la fois du Casillero del Diablo et du Don Melchor. Il y a clairement condamnation par association et on se dit qu'un vin à 20$ ne peut pas vraiment être un vin sérieux. Mais même si on vendait ce vin deux fois plus cher, il n'intéresserait pas plus ce type d'amateurs pour qui prix et prestige vont de pair. Dans le monde du vin, l'aspect commercial est très mal vu. À gauche on rejette toute image référant au commerce ou à une industrie, alors qu'à droite on accepte l'importance de l'argent, mais il vaut mieux posséder un château et avoir des airs d'aristocrate pour oser demander un prix élevé pour une bouteille de vin. Dans ces circonstances, il est pratiquement inutile d'essayer d'expliquer qu'une compagnie importante, comme on en retrouve plusieurs au Chili, puisse aussi faire du vin de haute qualité. Inutile d'essayer d'expliquer que ces compagnies importantes ont la masse critique pour développer une large expertise. On veut soit un pseudo baron dans son château, ou un petit artisan et ses micro-cuvées qui se feraient presque seules par la l'action magique de la nature. La grande majorité de la production chilienne tombe entre ces deux pôles caricaturaux.

Comme on peut le voir, quoi qu'il fasse, à moins de se métamorphoser, le Chili semble pris de tous les côtés. Augmenter les prix pour se donner des airs plus sérieux ne réglera rien et la structure de son industrie ne changera pas de manière drastique. Cependant, là où une amélioration pourrait être apportée, c'est au niveau de l'image de marque. Le meilleur exemple pour moi c'est une gamme de vins qui est depuis longtemps sur les tablettes de la SAQ, soit la gamme Max Reserva de Errazuriz. Cette gamme a connu un développement important ces dernières années avec le développement des vignobles de l'Aconcagua Costa. Ces vignobles côtiers permettent maintenant de produire des vins de climat frais, mais ceux-ci ont été noyés en terme d'image dans la gamme Max Reserva issue des vignobles plus anciens du groupe situés dans la partie chaude de la vallée. Cette idée de gamme très large est un obstacle majeur à la différentiation des produits et à la découverte de la diversité du vignoble chilien. Malheureusement, les gros joueurs chiliens qui savent faire des vins de très belle qualité autour des 20$ banalisent ces vins en les rangeant dans de larges gammes comme Max Reserva, Marques de Casa Concha, Medalla Real, 1865, EQ, Cuvée Alexandre, etc...  Pourtant, il existe des producteur qui ont compris comment démarquer leurs vins. Vina Leyda en est un bon exemple avec le nom de la parcelle d'origine accolée à chaque vin de niveau supérieur, Sauvignon Blanc (Garuma), Pinot Noir (Las Brisas) (Cahuil), Sauvignon Gris (Kadun), Chardonnay (Falaris Hill), Riesling (Neblina), Syrah (Canelo), et quand on va sur leur site web on peut visualiser le vignoble et les différentes parcelles. Casa Marin est un autre producteur chilien qui suit cette voie. C'est là un exemple qui devrait être suivi de manière générale au Chili pour les vins de milieu et de haut de gamme. Ça me semble la seule façon pour de grosses corporations de donner une histoire et d'ainsi différencier leurs vins de haute qualité. On devrait aussi mettre les winemakers et viticulteurs de l'avant car même dans de grosses corporations, le vin ne se fait pas tout seul. Il y a des gens qui procèdent à son élaboration. Bien sûr, ça n'aura jamais le bucolique du stéréotype du petit paysan amoureux de son terroir qui préserve un mode de vie ancestral, mais ça montrerait qu'il y a des gens vivent pour et par ces vins.

En conclusion, comme voie vers le salut, M. Gismondi fait la même recommandation aux producteurs chiliens que Bill Zacharkiw,

"Oh and be Chile, because no other country can replicate that."

Mais plus tôt dans son article il écrivait ceci:

"In my opinion, and for too many years now, Chile’s best wines have been suppressed by wholesale buyers, distributors, monopolies and supermarkets content to sell expensive French, Italian or American wine while convincing the Chileans they need to attack the market from the bottom end up, because, well they were Chilean and well, the wine was from South America"

Ça illustre bien qu'il est facile de dire aux chiliens de refléter le Chili dans leurs vins, mais au fond le problème de perception demeure. L'origine du vin en elle même est considérée comme une tare, pas sa qualité, pas sa typicité. Juste son origine. Il y a là un problème qui semble vraiment insoluble. C'est le fameux paradoxe chilien.



1 commentaire:

  1. Pour faire suite à ce que j'écris ci-haut sur les gros joueurs de l'industrie vinicole chilienne. Je joins le lien vers un texte intéressant de Forbes Magazine. Bien sûr, ça vient de Forbes, une publication qui n'a pas peur de l'argent et du commerce. Voici un extrait:

    And the equally disproportionate quality-to-price ratio that has long favored consumers of Chilean wine. If a wine “tastes like” it costs $100 and it comes from Chile, it probably costs about $60. If a wine “tastes like” it costs $300 and it comes from Chile, it probably costs more like $100.

    The problem is that macro generalities, even if they’re statistically true, gloss over the micro-scale change agents at play on the Chilean wine scene right now. Macro brands pump the blood of life into Chile’s industry, and it’s these smaller, more micro players that are supplying the jolts of adrenaline.


    Le tout avec une sélection de 10 vins venant autant des petits producteurs que des géants.

    Claude


    http://www.forbes.com/sites/cathyhuyghe/2014/11/24/ten-wines-to-watch-from-chile-and-why/



    *

    RépondreSupprimer