Après le Kuyen, 2006, complètement bretté, et le Sena, 1997, légèrement affecté par l'action de
cette levure, je me suis dit, quoi de mieux que d'ouvrir un Antiyal,
2005? Un vin haut de gamme, un vin de garage du même producteur que le
Kuyen et qui titre à 14.7% d'alcool. Je n'ai pas le pH, mais je me
suis dit qu'il valait mieux vérifier où en était ce vin à risque,
et que si j'étais chanceux j'en serais quitte pour un vin de qualité
ouvert peut-être trop tôt. Quel est le verdict?
La robe est toujours ténébreuse et
impénétrable. Le nez ne renie pas son origine chilienne, ni le
Carmenère qui compose la moitié de son assemblage. Ça embaume le
cassis frais, le poivron rouge, la terre humide, la sauge et
l'encens, ainsi que la vanille/bois brûlé. Pas de phénol. Pas de
bretts, donc. Alléluia! Simplement un beau nez d'assemblage
bordelais version Isla de Maipo, au cœur de la vallée, avec la
chaleur nécessaire au mûrissement complet du capricieux Carmenère.
La bouche n'est pas en reste, on y retrouve un vin mûr, souple et
ample qui tapisse les muqueuses de saveurs intenses amalgamant fruité
de grande qualité, amertume justement dosée et légère touche
végétale "poivronée". Le milieu de bouche montre un
vin à la richesse en équilibre. Je veux dire par là que c'est
concentré, assez volumineux, mais de qualité, sans lourdeur ni
agressivité. La trame tannique soyeuse du vin contribue à cette
impression de douce opulence qui se déploie jusque dans une finale
majestueuse qui fait longtemps durer le plaisir.
Si les meilleurs vins sont des vins à
risque qui ont bien tourné, alors cet Antiyal est est un superbe
exemple. Bien sûr je ne crois pas la prémisse de la phrase
précédente, mais la conclusion elle est imparable. Ce vin est
simplement un superbe exemple de ce que peut offrir de mieux le cœur
de la vallée centrale chilienne. Cette région considérée comme
trop chaude est actuellement en défaveur en cette ère où la
fraîcheur est le maître-mot. La fraîcheur est une belle qualité
dans le vin, j'y adhère, n'empêche que je ne peux renier mon amour
pour des vins au style riche et opulent comme celui-ci. Le goût
n'est pas quelque chose de monolithique, enfin, ce ne devrait pas
l'être. On peut aimer également des choses de styles différents
justement parce qu'elles sont différentes. On peut aimer la fine
ondulation et la courbe plus généreuse. Au-delà de la notion de
RQP favorable, c'est la générosité contenue des vins chiliens
issus de cépages bordelais qui m'a attiré au départ vers les vins
de ce pays. La diversité stylistique croissante des vins chiliens me
ravit, mais quand je goûte un vin comme cet Antiyal, il est clair
que je ne peux renier le style de vin qui m'a amené en premier lieu
vers ce pays. J'ai toujours eu de la difficulté avec un certain
manichéisme qui prévaut dans le petit monde du vin où on idéologise
beaucoup de choses. Pourtant, cet Antiyal est un vin de maturité du
fruit, un vin que certains qualifieraient de "parkerisé" à cause de cela, mais en même temps c'est un vin biodynamique.
Comme quoi dans le monde du vin toutes les combinaisons sont
possibles et qu'il est très réducteur de s'en tenir à un type de
vin et d'aimer qu'un seul style.
Il y a un mouvement au Chili
actuellement pour produire des vins dans la vallée centrale issus de
vendanges beaucoup plus hâtives, et sans usage de petites barriques
de chêne neuf à la bordelaise. On cueille jusqu'à un mois plus tôt
qu'avant, on baisse les taux d'alcool de 1 à 2.5% et on utilise des
foudres, des barriques usagées ou des cuves de ciment pour
l'élevage. Marcelo Papa de Concha y Toro et Marcelo Retamal de De
Martino sont les figures les plus connues de ce mouvement, Santa
Carolina et Santa Rita sont d'autres gros joueurs qui reviennent en
arrière pour certaines cuvées. C'est très bien. Il y a sûrement eu des excès dans
l'autre sens, mais moi c'est la diversité de styles qui m'intéresse et que j'aimerais
voir préservée. J'aimerais pouvoir boire des vins à l'ancienne,
comme le Cab "Antiguas Reservas" de Cousino Macul des
années 90, qui titrait à 13% d'alcool et montrait un usage subtil
du bois de chêne, mais en même temps je ne voudrais pas renoncer à
des vins plus puissants et opulents comme cet Antiyal. Je pense que
l'idéologie est la pire chose qui puisse guider l'élaboration du
vin car l'idéologie est forcément réductrice, elle impose des
limites et trace une ligne entre ce qui est bon et mauvais. Pour ceux qui pourraient être tenter par un vin du style de l'Antiyal, je recommande la cuvée Coyam de Emiliana. Alvaro Espinoza est derrière ces deux généreux assemblages biodynamiques. Le Coyam montre le même niveau qualitatif, mais à 25$ de moins la bouteille, c'est un RQP bien meilleur.
Bonjour Claude,
RépondreSupprimerTu me fais penser que je n'ai pas encore touch. mes bouteilles de Coyam.(du 2009). Faudrait bien que j'en ouvre une !
Patrick