dimanche 24 mars 2013

Frustration chilienne

Le système de notation sur 100 est la chose la plus ridicule qui existe dans le monde du vin et j'en ai eu une autre preuve récemment en prenant connaissance des notes octroyées à plus de 700 vins du Chili par Neil Martin, nouvellement en charge de couvrir ce pays pour un Wine Advocate en mutation. Je pense assez bien connaître les vins de ce pays, et les notes de M. Martin sont d'une incohérence totale. Il faut dire que le titre du rapport de M. Martin est "Chile : Seeking out the X factor". Cela donne le ton, car ce qu'on appelle le facteur X est quelque chose de bien subjectif. Toujours est-il que le rapport de M. Martin a créé une onde de choc dans le milieu vinicole chilien. N'étant pas abonné au Wine Advocate, je n'ai pas pu lire en entier le texte de M. Martin, mais un article sur le sujet du site Planetavino en cite des extraits et rend compte que le rapport de Neil Martin, au-delà des notes octroyées, est négatif et blâme la structure de l'industrie chilienne axée selon lui sur les grosses compagnies et la production de vins pour les masses. Son rapport est même divisé en deux, une partie pour l' "industrie", et l'autre portant sur le groupe de petits producteurs MOVI et les vins d'appellation VIGNO. Avec un tel biais idéologique, il est facile de comprendre certaines incohérences dans les notes. D'ailleurs, en passant en revue les notes de M. Martin, il est facile de détecter que certains plus petits producteurs sont favorisés, de même que les régions de climat frais au dépend de ce qui vient de la vallée centrale. Comme si un critique était plus dur avec les vins du sud de la France et de Bordeaux car le climat y est moins frais que celui de la Loire, de l'Alsace et de la Bourgogne. La réalité c'est qu'on y fait des vins différents qui ont leurs qualités distinctives. C'est ce qui fait la richesse de la France vinicole, et le Chili tend de plus en plus vers ce type de diversité.


Neil Martin à l'oeuvre lors d'une dégustation qu'on pourrait qualifier d'industrielle. Noter des vins sur 100 est déjà farfelu, mais le faire de façon aussi intensive, à étiquette découverte, avec les vins d'un pays qu'on connaît mal, est carrément ridicule.


L'autre élément qui semble avoir heurté les chiliens avec ce rapport, c'est que le même Neil Martin a été plutôt élogieux dans ses rapports récents sur l'Argentine et l'Afrique du Sud. Deux pays qui sont des concurrents directs du Chili et qui ont une structure de production similaire, même si ces pays ne possèdent pas une locomotive de la qualité de Concha y Toro, une compagnie reconnue par plusieurs pour être la meilleure compagnie vinicole au monde. Une compagnie qui sait allier volume, qualité et diversité. Bien sûr c'est une compagnie énorme, surtout si on ajoute toutes ses filiales, mais en même temps c'est une compagnie qui réussit un tour de force incomparable dans le monde du vin. Pour un pays totalement axé sur l'exportation c'est un atout incroyable. Ceci dit, ce qui est encore plus incroyable, c'est que l'existence d'une telle compagnie soit mis au passif d'un pays lorsque vient le temps de rendre compte de sa réalité. Il n'y a que des préjugés idéologiques qui peuvent guider un tel jugement et c'est d'autant plus surprenant de la part d'un critique dont l'intérêt principal a toujours été les vins de Bordeaux. C'est donc bizarre de le voir débarquer au Chili en prônant que "small is beautiful", en vantant l'approche naturelle dans l'élaboration du vin, tout en disant que le Chili devrait se concentrer sur un cépage comme le Carignan, plutôt que sur le Cabernet Sauvignon.

Il doit être très difficile pour les producteurs chiliens de voir quelqu'un comme Neil Martin débarquer pour la première fois dans leur pays, sans connaissance approfondie des vins qui y sont produits, pétri de préjugés, pour finalement leur donner une leçon de morale idéologique. En même temps, je pense que l'influence de Neil Martin est très limitée car de toute façon les abonnés du Wine Advocate ont très peu d'intérêt pour les vins sans prestige du Chili. N'empêche que les producteurs chiliens sont très sensibles aux notes et aux médailles, et j'espère que le rapport de Neil Martin les incitera à y porter moins attention et à faire les vins qu'ils veulent vraiment. J'espère qu'ils prendront conscience que le système de notation sur 100 est un leurre, et qu'ils s'émanciperont du syndrome du colonisé où un critique étranger peut venir leur dire avec condescendance ce qui devrait être le mieux pour eux. N'empêche que le Chili, malgré les grandes avancés des quinze dernières années, ne l'a jamais facile et semble prisonnier de son problème d'image.


1 commentaire:

  1. Finalement le règne de Neil Martin comme critique des vins du Chili pour le Wine Advocate aura été de courte durée. Le magazine a annoncé que quelqu'un d'autre serait nommé pour couvrir les vins de ce pays. Le ridicule système de notation sur 100 va demeurer, mais espérons que la nouvelle personne aura plus de jugement que M. Martin.

    Claude

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