Très récemment j'ai dégusté deux
vins qui ont ramené à mon esprit une réflexion que je me fais de
plus en plus au fur et à mesure que je progresse dans le monde du
vin. Ces deux vins sont des rouges bien différents, mais qui m'ont
également impressionné malgré leur dissemblance. Un de ces vin est
la cuvée LFE 900, 2008, de Luis Felipe Edwards dont j'ai traité
dans l'entrée précédant celle-ci sur le blogue, mais il y a aussi
le Cabernet Sauvignon, Gran Reserva, 1999, Maipo, de Vina Tarapaca
que j'avais dégusté le jour avant au resto avec un ami passionné
de vin. Le vin de Tarapaca n'avait pas la richesse, la puissance ni
la longueur en bouche du LFE 900. C'était un vin de corps moyen
montrant ce profil mi-évolué que seul le temps en
bouteille peut procurer. Ceci dit c'était un vin complexe et exquis,
à la fois sérieux et facile à boire, et qui m'a procuré beaucoup de plaisir. Le LFE 900
aussi m'a procuré du plaisir, mais un plaisir bien différent. Je
suis sûr que s'il était possible de comparer les deux vins au même
âge, le LFE 900 l'aurait emporté par KO au premier round. Il a
tellement plus de matière que le Tarapaca pouvait en avoir en
jeunesse, alors imaginez aujourd'hui avec les 12 ans de bouteille de
celui-ci. Il est clair que si ces deux vins avaient pu être soumis
au même âge à un "donneux" de notes sur 100, le LFE
l'aurait emporté haut la main. Il aurait déclassé l'autre par au
moins 10 points. Malheureusement, ce résultat aurait, selon moi, été
totalement erroné.
Comme je l'ai dit en introduction, les
plaisirs distincts que ces deux vins m'ont donné m'ont amené à
réfléchir sur les critères qui permettent d'établir le niveau de
qualité d'un vin. De plus en plus, je trouve que les éléments
utilisés pour établir le niveau qualitatif du vin sont trop axés
sur des choses comme la concentration, la puissance et la longueur en
bouche, alors que la qualité et la distinction aromatique, de
même que la finesse et la facilité à boire sont des éléments
trop souvent négligés car plus subjectifs et moins impressionnants.
Les facteurs évoquant la force dans un vin sont difficiles à
manquer et ce faisant plus objectifs, alors que les éléments de
subtilité et de détails sont plus subjectifs et moins
universellement facile à percevoir. Il y a aussi le goût personnel
qui peut entrer en ligne de compte, et la disposition pour un style
de vin en particulier au moment de la dégustation. Les comparaisons
entre le vin et les œuvres d'art sont toujours un peu boiteuses car
les sens de l’ouïe et de la vue sont des sens beaucoup plus précis
que ceux de l'odorat et du goût. Néanmoins, aimant la musique,
j'aime bien comparer le vin à une chanson. Par exemple, la même pièce peut être
interprétée avec un orchestre symphonique, ou de façon intimiste
en mode piano/voix. Il est clair que la version avec grand orchestre
sera plus impressionnante pour l'auditeur, qu'elle marquera plus ses
sens, mais est-ce que ça veut dire qu'elle sera forcément meilleure
que la version plus tranquille où seul un piano et une voix font le
travail? Selon moi les deux peuvent avoir leurs mérites selon ce que
recherche l'auditeur, selon sa disposition du moment. De la même
façon que les deux vins que j'ai évoqué plus haut offraient
quelque chose de différent, sans que l'un soit nécessairement
meilleur que l'autre. L'un est plus impressionnant, alors que l'autre
est plus délicat. Le premier s'impose à notre attention, alors que
le deuxième a besoin de notre attention.
Plus j'évolue dans le monde du vin
et plus je me rend compte que comme pour la musique il est important
pour moi de pouvoir choisir le volume. Parfois j'ai le goût que ça
frappe fort, mais parfois j'aime aussi jouir d'un plaisir plus reposant. Un
plaisir plus facile au sens où les sens sont sollicités de façon
plus douce, mais un plaisir plus exigeant car c'est le dégustateur
qui doit aller vers le vin et non l'inverse. Bien sûr, il y a un
danger avec ma définition des choses. Ce danger s'est de tout confondre
et de mélanger concentration modérée et finesse. L'équilibre, et la qualité
aromatique sont pour moi les éléments primordiaux pour juger du
niveau qualitatif d'un vin. La complexité peut aussi être un
élément à considérer. Je pense que ces qualités peuvent se
retrouver dans des vins très concentrés, longs et puissants, mais
elles peuvent aussi se retrouver dans des vins plus modérés et ce
sont ces vins qui, trop souvent selon moi, sont injustement
déconsidérés. Je n'ai rien contre les vins qui en donnent beaucoup,
cela fait son effet, mais ce petit texte est un appel à découvrir,
ou redécouvrir, les vertus du vin modéré. Pour moi la modération
en matière de vin n'a pas nécessairement meilleur goût, mais de
plus en plus les vins de cette catégorie me sont nécessaires et il
n'y a rien de mieux que la garde prolongée pour en produire de beaux
exemples.
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