lundi 14 septembre 2009

Dégustation Chili ou comment je me suis aveuglé!

Dans l’introduction de mon dernier message, je disais qu’à un moment donné au cours de la soirée j’avais eu l’air fou, et que tous avaient bien rigolé. Ils avaient raison, car c’était bien comique. Toutefois, au delà de la rigolade que j’ai provoqué, j’ai pu expérimenter totalement une chose en laquelle je croyais fermement et que je n’avais pu jusqu’à maintenant qu’effleurer en dégustation.

Depuis que je déguste en groupe, je n’ai jamais encore vu quelqu’un délibérément tromper ses partenaires de manière malhonnête. C’est-à-dire en servant un vin à étiquette découverte, mais en mettant un autre vin dans la bouteille. Celui qui s’y aventurerait aurait assurément de bonnes chances de perdre des amis. Dans le monde du vin où l’ego est important, tenter de faire mal paraître des dégustateurs regroupés, n’est pas une chose à faire. Toutefois, il existe le cas où un dégustateur peut se flouer totalement lui-même. C’est ce qui m’est arrivé samedi soir dernier.

Comme vous avez pu le lire dans le message précédant, j’avais préparé trois vagues de trois vins rouges. Je les avais placés dans une caisse de douze bouteilles, où trois rangées de trois étaient pleines, et une rangée était vide. J’ai sorti la première rangée, à l’extrémité de la boîte, pour la première vague. Ce qui laissait deux rangées vides aux extrémités de la boîte, et deux rangées pleines au milieu. Puis, au moment de sortir ce que j’avais prévu pour être la deuxième vague, j’ai pris la mauvaise rangée de milieu, celle qui devait être la troisième vague. Les vins avaient été transvidés dans des bouteilles transparentes que j’avais marquées en noir en dessous. Donc, tant que la bouteille contenait du vin foncé, il était impossible de voir la marque. Puis, pour chaque vague, je demandais à quelqu’un d’autre de mélanger les bouteilles et de les étiqueter avec un numéro. Donc, en théorie, pour chaque vague j’étais en semi-aveugle. J’étais supposé connaître l’identité des trois vins, mais pas dans quelles bouteilles ils étaient.

Donc, lorsque la deuxième vague fut servie, j’étais convaincu sans l’ombre d’un doute d’avoir devant moi trois vins de Syrah (Tabali, Chono, Errazuriz), que je connaissais très bien. Alors qu’en réalité, j’avais un Cab (Melchor), un assemblage à forte dominante Cab (Morandé), et un assemblage sans cépage très dominant (Chocalan). Je dois aussi dire que lors du transvasage de ces vins, durant l’après-midi, je les avais sentis pour détecter à l’avance un éventuel problème de bouchon. Lors de cet exercice, j’avais noté un très léger caractère bretté dans la Syrah Errazuriz. Toujours est-il que lorsque les vins furent servis. J’étais en pleine confiance. J’avais très facilement identifié les trois vins de la première vague. Je n’ai d’ailleurs même pas regardé mes marques sous les bouteilles tellement c’était clair.

Ensuite, dans la deuxième vague, qui était en fait ce qui devait être la troisième. Je détecte dès le départ un vin légèrement bretté, le Morandé. Dans ma tête, juste sur ce critère, je me dis que c'est le Errazuriz. Les deux autres vins “clean” et plus jeunes sont associés aux deux jeunes Syrah, le Chocalan avec le Tabali, à cause du boisé, et la Melchor avec le Chono, par défaut. Je dis rapidement aux autres que j’ai repéré l’identité de chaque vins. Par après toutefois, je dis que je ne suis plus sûr de l’identité pour deux vins. Les deux vins plus jeunes et non brettés. Mais en aucun moment dans mon esprit je ne remet en doute le fait que j’ai devant moi trois vins de Syrah. Lors du tour de table à la fin, je rigole et m’amuse d’entendre certains dégustateurs me parler de Cabernet Sauvignon! Je souris et dit à tous que certains vont être surpris!!! Je ne croyais pas si bien dire. En réalité, je joue un peu les frondeurs, car même si je suis toujours totalement convaincu d’avoir les trois vins de Syrah devant moi, je ne suis plus sûr de l’identité de deux plus jeunes. Pourtant, ce sont deux vins (Tabali et Chono) que je pense connaître très bien et que j’étais sûr de pouvoir distinguer facilement l’un de l’autre, surtout avec le Errazuriz comme troisième bouteille de la vague. Malgré cela, en aucun moment la lumière rouge ne s’est allumée en moi. J’étais psychologiquement induit. Le fait que j’avais affaire à trois vins de Syrah était pour moi une certitude absolue. J’avais grossièrement détecté deux vins de profils jeunes, plus un vin plus évolué et légèrement bretté. Dans ma tête, c’était en béton, malgré mon indécision sur l’identité de deux d’entre eux, et malgré la réalité, bien sûr.

Finalement, avant de découvrir l’identité des bouteilles, je demande à regarder mes marques sur le fond de celles-ci. Une chance, sinon j’aurais totalement ruiné le caractère aveugle de ma dernière vague de Syrah. Donc, je regarde la fond d’une bouteille, et là c’est la stupéfaction totale!!! Sur le coup je n’y crois pas. Surprise, surprise!!! C’est là, bien entendu, que les autres se bidonnent ferme. Pour ma part, je suis dans la confusion la plus totale. Ça dépasse mon entendement. Je me demande comment j’ai pu ne pas m’apercevoir de cette inversion. Je suis tellement sous le choc, que c’est là aussi que j’inverse le Morandé pour le Melchor, lors du dévoilement.

Tous ont bien ri, moi inclus, lorsque j’ai repris un peu mes esprits. J’étais déçu car ça brisait l’ordre que j’avais prévu pour la dégustation. Sur le coup, j’étais aussi déçu de moi comme dégustateur. Mais en y repensant comme il faut par la suite, j’ai compris que cette expérience n’avait fait que confirmer ce en quoi je croyais depuis mes débuts en dégustation. C’est-à-dire que l’aspect psychologique est très important dans la perception du vin. Les sens du goût et de l’odorat sont des sens très imprécis et qui peuvent facilement être subjugués par la conviction. Quand je parle de conviction, je parle du fait d’être totalement convaincu de quelque chose. Dans mon cas, je ne pouvais être plus convaincu. C’est moi qui avait tout préparé. Je n’avais aucun soupçon d’un possible piège. J’ai fait une erreur en totale bonne foi, sans passer proche de m’en rendre compte. Pour moi, le fait que j’avais trois vins de Syrah devant moi était une réalité indiscutable. J’aurais eu les étiquettes dévoilées que je n’aurais pas été plus convaincu. De plus, le caractère primaire des vins (deux jeunes, un plus évolué) allait dans ce sens. Donc, aucune analyse fine et un peu objective du caractère aromatique des vins n’était possible pour moi à ce moment, sauf pour le léger caractère bretté du Morandé, car il cadrait avec l’idée que je m’étais faite de la Syrah Errazuriz. En y repensant, ce fut une expérience fascinante. Certains pourraient y voir une tentative de justification de ma part pour expliquer une lacune de dégustateur. À ceux qui pourraient penser cela. Je leur souhaite de vivre une expérience similaire. Ils comprendront. De toute façon, je n’aurais pas partagé cette expérience si je n’avais pas pensé que ça pouvait être intéressant pour plusieurs.

Ah oui! En terminant. J’ai parfaitement reconnu les trois vins de Syrah, par la suite, lors de la troisième vague. Pas difficile vous allez me dire, c’est vrai. Mais quand même, ils présentaient des profils aromatiques totalement différents des trois vins précédents. Incroyable! Vraiment fascinant. Une expérience qui demande toutefois de l’humilité et une certaine capacité d’auto-dérision, mais une expérience que je souhaite à tous pour progresser comme dégustateurs.

3 commentaires:

  1. L'histoire est superbe, Claude, et montre que le dégustateur doit toujours être sur ses gardes... même si c'est lui qui organise la dégustation!

    Quand tu dis :

    "Donc, aucune analyse fine et un peu objective du caractère aromatique des vins n’était possible pour moi à ce moment"

    Je ne suis pas tout à fait d'accord : si avant d'essayer de trouver l'ordre des vins, de les reconnaître, tu avais plutôt essayé d'écrire sur papier tes impressions de dégustation pure, ou "naïve", je me demande si tu n'aurais pas pu y voir quelques notes variétales de cépages bordelais, qui t'auraient mis la puce à l'oreille. Bien sûr, plus facile de le dire comme cela que dans le feu de l'action...

    Ca me fait penser au commentaire que je fais souvent quand les gens essaient de déguster à l'aveugle en fonction de qui amène quoi... Il y a une "intellectualisation" qui, comme dans ta mésaventure, empêche souvent de voir clair...

    RépondreSupprimer
  2. SAlut olivier,

    La cas du Riesling que j'ai offert comme blanc d'ouverture est un bon exemple, tout le monde s'attendaient à un Sauvignon Blanc de ma part, et c'est ce qu'ils ont cru percevoir. En ce qui me concerne, tout ce que je peux dire, c'est que les notes de Cabernet étaient là, après coup, et surtout, pas celles de Syrah. Mais tant que j'étais convaincu entièrement d'avoir affaire à des vins de Syrah, c'est vraiment comme si mon interprétation de la réalité perçue était changée. En fait, je suis convaincu que c'est dans le cerveau que l'information était déviée. En y repensant bien par la suite, les seuls indices qui auraient dû me sortir de cet état d'esprit. Je les ai déformés pour qu'ils cadrent avec ce que j'étais profondément convaincu être la réalité. Je pense qu'il n'y a qu'en me flouant moi-même de la sorte, à cause de la confiance absolue que ça implique, que je pouvais être dans cet état psychologique de total abandon. Car autrement, je pense être généralement assez sur mes gardes. Ce qui ne veut pas dire que je ne pourrais pas être trompé par quelqu'un d'autre. Une chose est sûre, une telle expérience remet les choses en perspective. J'espère juste que ça m'aidera à progresser comme dégustateur.

    Claude

    RépondreSupprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer