Vous savez comment je vante les mérites
des rouges chiliens de type Reserva sur ce blogue. Toutefois, autant
j'aime cette catégorie de vins, autant ils sont parfois difficiles à
suivre dans le temps. Je ne parle pas de l'évolution du vin en
bouteille, je parle plutôt des changements qui peuvent survenir dans
l'élaboration de ceux-ci avec le temps. Pour illustrer ce phénomène,
cette cuvée Legado est un beau cas de figure. J'ai acheté ce vin
une première fois dans le millésime 1997, alors qu'il était nommé "Prima". Au début des années 2000 on l'a rebaptisé "Legado". Le Legado de ces années-là venait de la
sous-région de Isla de Maipo, au cœur de la vallée et était issu
de vieilles vignes. C'était aussi un vin qui voyait pas mal de bois
neuf, au fruité bien mature et qui titrait à 14.5% d'alcool. Les
millésimes 2001 et 2002, que j'ai encore en cave, ont bien évolué.
Mais voilà, quelqu'un qui achète le 2011 aujourd'hui, achète un
tout autre vin. L’œnologue en chef de la maison, Marcelo Retamal,
une étoile du virage terroir chilien, a décidé dernièrement de
revoir complètement son approche en matière de vinification. Pour
ce Cabernet, il est un peu dur à suivre, car ce vin origine
maintenant de deux terroirs bien distincts. Une partie des fruits
provient toujours de Isla de Maipo, mais le vin contient aussi des
fruits d'un vignoble plus récent situé près de Melpilla, dans la
partie ouest de la vallée, près de la chaîne de montagnes côtières
(même région que Vina Chocalan). Donc, un mélange de vielles
vignes et de vignes plus jeunes, et de climat chaud et de climat moins chaud, tout cela avec une vendange plus hâtive qu'auparavant, ce qui
se reflète dans un taux d'alcool abaissé à 13.5%. Ajoutez à cela
l'abandon du bois neuf pour 12 mois au profit de barriques usagées,
dites neutres, et d'un élevage dans celles-ci prolongé à 16 mois.
Comme on peut le voir, ça fait beaucoup de changements pour un vin
portant le même nom et arborant la même appellation d'origine.
Malgré tous ces changements, le producteur évoque un potentiel de
garde de 10 ans.
La robe et de teinte rubis plutôt
translucide pour un jeune vin de ce cépage. Le nez montre une belle
fraîcheur, avec la typicité qu'on attend d'un Cab de cette vallée.
On y retrouve un mélange mentholé de cerises et de cassis, complété
par du bois de cèdre, des notes terreuse et une touche de poivron
vert. Le fruit montre vraiment un bel éclat, et sans apport boisé
apparent, il a tout l'espace nécessaire pour se déployer. En
bouche, c'est aussi la fraîcheur de l'ensemble qui impressionne. On
retrouve un vin aux saveurs de Cabernet, mais avec une structure qui
se rapproche d'un vin de Pinot Noir. Les tanins sont fins et
discrets, l'acidité vivifiante, ce qui donne à ce nectar, qui ne
manque pas de concentration au niveau des saveurs, une belle légèreté
et une finale d'une longueur renversante. Je dis renversante, car le
côté aérien du vin n'annonce pas une telle longueur. Comme si la
concentration du vin n'était située qu'au niveau des saveurs, et
qu'il était délesté de tout le reste de la matière non aromatique
qu'on retrouve normalement dans un jeune Cab de ce calibre.
Il y a actuellement un mouvement au
Chili pour revenir à moins de maturité du fruit, et conséquemment,
à des titres alcooliques plus faibles, ainsi qu'à un usage plus
modéré du bois de chêne neuf. Je ne renierai pas mon goût pour
les Cabs denses, boisés et bien matures, car après 10 ans ils
rejoignent une structure plus élancée qui n'est pas si loin de
celle qu'arbore ce Legado dès sa prime jeunesse. Ceci dit, de
retrouver cette structure affinée avec un profil aromatique montrant
la fraîcheur de la jeunesse et une maturité modérée du fruit,
c'est très agréable et j'en redemande. Ce vin montre un éclat, une
fraîcheur et une longueur remarquables. C'est l'exemple parfait
démontrant l'importance de l'homme dans l'élaboration du vin.
Marcelo Retamal a décidé d'élaborer un style différent de
Cabernet et il a très bien réussi. Pour moi la réussite de ce vin
n'est pas un désaveu du style plus costaud et mature. C'est juste un
enrichissement de la diversité. Ça montre qu'il n'y a pas de vérité
absolue en matière de vin et que l'homme peut décliner les choses
de différentes façons, toutes aussi valables les unes que les
autres. C'est un peu comme ceux qui veulent absolument diviser la
planète-vin en deux, entre des mondes ancien et nouveau. Ça ne
tient pas la route, car on oublie la variable essentielle, la
variable humaine. Comme je le disais, Marcelo Retamal n'est pas le
seul à élaborer des cuvées axées sur plus de fraîcheur au Chili.
L'autre Marcelo chilien, Marcelo Papa, une des forces vives du géant
Concha y Toro a élaboré une cuvée spéciale du Cabernet, Marques
de Casa Concha, dans le millésime 2010. Ce vin issu du même
vignoble de Puente Alto d'où sont issus le Don Melchor et la cuvée
régulière du Marques de Casa Concha, a été nommé meilleur rouge
chilien par le guide Descorchados, 2014, avec une note de 96. Cette
cuvée spéciale et limitée à seulement 1800 bouteilles a été
élaborée en utilisant les techniques des rouges chiliens des années
70. La vendange a été effectuée un mois avant celle du Marques de
Casa Concha régulier qui titre à 14.5% d'alcool, alors que la cuvée
spéciale titre à seulement 12.5%. J'aimerais bien goûté ce vin.
Il y a un réveil actuellement à propos des qualités des rouges de
jadis où la maturité phénolique n'était pas une obsession. Je
donnais récemment un exemple d'un de ces vieux rouges chiliens qui
ont superbement évolué sur une très longue période, un Cab, 1967
de Santa Carolina qui titre à 13.2% d'alcool.
Finalement, j'ai un aveu à faire. J'ai
acheté cette bouteille de Cabernet, Legado, 2011, car dans l'édition
du Wine Spectator dont je parlais dans mon texte précédant, on
avait octroyé 92 points à ce vin de 17$. Ça m'a fortement
intrigué. J'étais curieux de voir en quoi ce vin pouvait se
distinguer des autres Cabs de cette catégorie pour mériter un tel
score, surtout que l'archétype du Cab de Maipo moderne de cette
catégorie, le Marques de Casa Concha, 2011, c'est lui mérité 93
points. Ce n'était donc pas pour une question de style, mais bien de
qualité intrinsèque du vin. Au final, je suis totalement confus.
J'ai adoré le vin de De Martino. Sa note me semble justifiée, pour
ce que ça veut dire, mais si tel est le cas, il y a une flopée de
rouges chiliens qui devraient aussi obtenir un score similaire.
L'offre chilienne de rouges de ce niveau qualitatif sous la barre des
25$ est immense et à 17$ ce Legado est un superbe achat qui se
démarque par son profil original.
J'ai beaucoup, beaucoup aimé la version 2010 de ce vin. Bien hâte de goûter à ce millésime.
RépondreSupprimerMerci pour le CR Claude !
Patrick
Salut Patrick,
RépondreSupprimerSurveille les stocks. Il commence à se faire rare.
Claude
Je vais ouvrir l'oeil alors. Il me reste 3 ou 4 2010, mais je veux les garder un bon moment, alors avoir du 2011 serait un "must" !
RépondreSupprimerPatrick
Pas été assez vite pour mettre la main sur du 2011, mais eu le temps de ramasser du 2012 dont j'ai déjà 2 bouteilles de bues tellement c'est bon !
RépondreSupprimerPatrick
Salut Patrick,
RépondreSupprimerPas de tomates dans ton rouge chilien!!!!....
Un vin qui entre dans cette catégorie de Cab chiliens est le Perez Cruz. Je viens de déguster le 2012 et c'est franchement excellent. Bonne année.
Claude
Salut Claude,
RépondreSupprimerMerci ! J'aime bien aussi le Cab de Perez Cruz dont j'ai encore plusieurs bouteilles en cave, dont du 2007 et du 2010. Je boirai bientôt ce 2012.
Patrick