dimanche 20 avril 2014

La difficile quête de reconnaissance du Chili


Le Chili vinicole souffre d'un manque chronique de prestige sur la scène mondiale du vin. Un déficit important qui semble impossible à combler malgré la qualité et la diversité toujours croissantes qu'offre ce pays. L'image de pays pauvre qui n'offre que du vin bon marché lui colle à la peau inexorablement. Le Chili a beaucoup d'atouts concrets qui devraient lui permettre d'émerger comme un des leaders du monde vinicole, mais l'image est une question de perception qui n'a souvent rien à voir avec la réalité du terrain. Le fait que le Chili fasse partie de ce que l'on appelle le Nouveau-Monde est déjà un problème en terme d'image dans un milieu qui ne jure que par l'ancien, mais contrairement aux États-Unis, au Canada, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande et à l'Afrique du Sud, le Chili a le malheur de ne pas être un pays où l'anglais est une langue importante. Quand on connaît l'influence mondiale de la presse vinicole anglophone, cela aide à comprendre le niveau de difficulté en terme d'affinité culturelle, et partant, de communication du message. L'affinité culturelle est très importante dans le monde du vin. Le marché canadien en est un bel exemple. Les vins français ont un succès bien plus important au Québec que dans le reste du Canada, alors que les vins du Nouveau-Monde anglophone ont beaucoup plus de succès dans le ROC qu'au Québec, où ils sont souvent injustement boudés. Le Chili n'a donc pas de levier efficace pour transmettre sa réalité dans un monde où la perception prime souvent sur la réalité.

L'idée de revenir sur le problème insoluble chilien m'est venue lorsque j'ai appris que Eduardo Chadwick, le leader du groupe Errazuriz, avait décidé de cesser sa série de dégustations à l'aveugle initiées à Berlin une décennie plus tôt. Il a refermé la boucle en octobre dernier à Santiago avec une dernière dégustation entre chiliens. Malgré 15 dégustations de ce genre tenues avec succès à travers le monde, où il a eu le courage de mettre ses vins en compétition avec des vins beaucoup plus chers et prestigieux. Je ne suis pas sûr que cela ait produit un bénéfice très concret pour le prestige de ses vins, et pour ceux du Chili en général. C'est vrai, le prix des vins haut de gamme du groupe Errazuriz est à la hausse, mais cela n'a eu aucun effet sur le reste du portefeuille du producteur. On pouvait toujours acheter son Cab, Max Reserva, 2011, ce week-end, en promo à la SAQ, pour 15$ la bouteille. Un prix totalement ridicule pour un vin de cette qualité et ayant un si bon potentiel de garde.

Le Chili vinicole est vraiment pris dans un Catch 22. Il est prisonnier de la relation prix/prestige à la base de ce qu'on appelle l'effet Veblen. Dans ces conditions, la notion de qualité devient secondaire. Le prestige permet d'exiger des prix plus élevés, et un produit qui se vend à un prix plus élevé devient plus désirable, ce qui, à terme, poussera encore plus le prix vers le haut. Comme le Chili est dépourvu de prestige, et qu'au contraire il traîne une image négative de vin bon marché venant d'un pays pauvre, il est pris dans un effet Veblen inversé. Pour trouver preneur, il doit vendre la grande majorité de ses vins à des prix nettement inférieurs à la qualité offerte, et ces prix très abordables influencent forcément la perception de qualité. Depuis que je m'intéresse aux vins de ce pays, j'ai pu constater que leurs seuls moments de gloire sont venus en dégustation en pure aveugle. C'est sur ce fait qu'a misé Chadwick avec sa série de dégustations à l'aveugle contre des pointures prestigieuses. Mais malgré de très bons résultats à chaque fois pour ses vins, il n'y a pas eu d'effet dramatique sur la perception générale des vins de ce pays. J'ai expérimenté la même chose à mon échelle. J'ai surpris de nombreux amateurs et professionnels avec des vins chiliens lors de dégustations à l'aveugle au cours des 10 dernières années, mais je n'ai converti personne à la cause des vins de ce pays. La seule explication que j'ai pu tirer de cette expérience, c'est que le prestige joue un trop grand rôle chez l'amateur passionné pour que des vins d'un pays sans prestige puissent avoir un quelconque intérêt. Autant une étiquette considérée inspirante peut attiser l'intérêt pour un vin, autant une étiquette considérée rebutante peut tuer cet intérêt. Plus de 99% des vins que l'ont boit le sont à étiquettes découvertes, la pure aveugle ne peut être là à chaque fois pour briser un préjugé défavorable. Si vous pensez que vous auriez un peu honte de servir un vin chilien à des amis amateurs lors d'un bon repas, il n'y a alors aucune raison de mettre ces vins en cave, peu importe leur prix et leur niveau de qualité. La perception fait foi de tout dans ces circonstances.

Le constat que je viens de dresser sur la perception des vins chiliens est négatif, malheureusement, n'empêche que le paysage vinicole de ce pays continue de se développer et de se diversifier. Il y a aussi eu des progrès commerciaux réalisés au cours de la dernière décennie. Il y a beaucoup plus de vins chiliens de milieu et de haut de gamme qu'avant, même si ça demeure une part de marché très restreinte et que ces vins demeurent quand même sous-évalués. Pour terminer sur une note positive, je joins un lien vers la liste top 10 de l'expert britannique des vins du Chili, Peter Richards. Cette liste est plus un top 10 des coups de cœur de M. Richards, qu'une liste des 10 meilleurs vins du Chili. Il est intéressant de noter la présence de deux vins de Cabernet âgés dans cette sélection. D'abord la cuvée Antiguas Reservas, 1998, de Cousino Macul, un vin que j'ai toujours en cave et un vin de Santa Carolina du millésime 1967. Vous avez bien lu, 1967, dans cette perspective, le Cousino Macul est un bébé. Ça montre que les Cabs chiliens de prix très abordables peuvent vieillir très longtemps. M. Richards inclut dans sa liste un Riesling de Casa Marin. À quand un premier Riesling chilien à la SAQ? Il y a aussi le Pinot Noir, Wild Ferment, 2012, Aconcagua Costa, Errazuriz. Je lisais récemment sur FDV que le Chardonnay, 2011, de la même gamme avait très bien fait à l'aveugle contre des vins Chardonnay bien plus chers de Bourgogne et d'ailleurs. On me reprochera après ça de dire que certains vins chiliens pouraient se vendre beaucoup plus chers s'ils étaient parés d'une étiquette plus prestigieuse. Peter Richards complète sa liste par la Syrah d'entrée de gamme de Vina Leyda. À quand une vraie Syrah de climat frais à prix abordable à la SAQ? Pour ce faire il faut regarder du côté de Vina Leyda, bien sûr, mais il y aussi Vina Falernia, dans Elqui, qui produit des vins aux airs de Côte-Rôtie à moins de 20$.

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