Le Chili vinicole souffre d'un manque chronique de prestige sur la scène mondiale du vin. Un déficit important qui semble impossible à combler malgré la qualité et la diversité toujours croissantes qu'offre ce pays. L'image de pays pauvre qui n'offre que du vin bon marché lui colle à la peau inexorablement. Le Chili a beaucoup d'atouts concrets qui devraient lui permettre d'émerger comme un des leaders du monde vinicole, mais l'image est une question de perception qui n'a souvent rien à voir avec la réalité du terrain. Le fait que le Chili fasse partie de ce que l'on appelle le Nouveau-Monde est déjà un problème en terme d'image dans un milieu qui ne jure que par l'ancien, mais contrairement aux États-Unis, au Canada, à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande et à l'Afrique du Sud, le Chili a le malheur de ne pas être un pays où l'anglais est une langue importante. Quand on connaît l'influence mondiale de la presse vinicole anglophone, cela aide à comprendre le niveau de difficulté en terme d'affinité culturelle, et partant, de communication du message. L'affinité culturelle est très importante dans le monde du vin. Le marché canadien en est un bel exemple. Les vins français ont un succès bien plus important au Québec que dans le reste du Canada, alors que les vins du Nouveau-Monde anglophone ont beaucoup plus de succès dans le ROC qu'au Québec, où ils sont souvent injustement boudés. Le Chili n'a donc pas de levier efficace pour transmettre sa réalité dans un monde où la perception prime souvent sur la réalité.
L'idée de revenir sur le problème
insoluble chilien m'est venue lorsque j'ai appris que Eduardo
Chadwick, le leader du groupe Errazuriz, avait décidé de cesser sa série de dégustations à l'aveugle initiées à Berlin une décennie
plus tôt. Il a refermé la boucle en octobre dernier à Santiago
avec une dernière dégustation entre chiliens. Malgré 15
dégustations de ce genre tenues avec succès à travers le monde, où
il a eu le courage de mettre ses vins en compétition avec des vins
beaucoup plus chers et prestigieux. Je ne suis pas sûr que cela ait
produit un bénéfice très concret pour le prestige de ses vins, et pour
ceux du Chili en général. C'est vrai, le prix des vins haut de
gamme du groupe Errazuriz est à la hausse, mais cela n'a eu aucun
effet sur le reste du portefeuille du producteur. On pouvait toujours
acheter son Cab, Max Reserva, 2011, ce week-end, en promo à la SAQ, pour 15$
la bouteille. Un prix totalement ridicule pour un vin de cette
qualité et ayant un si bon potentiel de garde.
Le Chili vinicole est vraiment pris
dans un Catch 22. Il est prisonnier de la relation prix/prestige à
la base de ce qu'on appelle l'effet Veblen. Dans ces conditions, la
notion de qualité devient secondaire. Le prestige permet d'exiger
des prix plus élevés, et un produit qui se vend à un prix plus
élevé devient plus désirable, ce qui, à terme, poussera encore
plus le prix vers le haut. Comme le Chili est dépourvu de prestige,
et qu'au contraire il traîne une image négative de vin bon marché
venant d'un pays pauvre, il est pris dans un effet Veblen inversé. Pour
trouver preneur, il doit vendre la grande majorité de ses vins à
des prix nettement inférieurs à la qualité offerte, et ces prix
très abordables influencent forcément la perception de qualité.
Depuis que je m'intéresse aux vins de ce pays, j'ai pu constater que
leurs seuls moments de gloire sont venus en dégustation en pure
aveugle. C'est sur ce fait qu'a misé Chadwick avec sa série de
dégustations à l'aveugle contre des pointures prestigieuses. Mais
malgré de très bons résultats à chaque fois pour ses vins, il n'y
a pas eu d'effet dramatique sur la perception générale des vins de ce pays.
J'ai expérimenté la même chose à mon échelle. J'ai surpris de
nombreux amateurs et professionnels avec des vins chiliens lors de dégustations à
l'aveugle au cours des 10 dernières années, mais je n'ai converti
personne à la cause des vins de ce pays. La seule explication que
j'ai pu tirer de cette expérience, c'est que le prestige joue un
trop grand rôle chez l'amateur passionné pour que des vins d'un
pays sans prestige puissent avoir un quelconque intérêt. Autant une
étiquette considérée inspirante peut attiser l'intérêt pour un vin, autant
une étiquette considérée rebutante peut tuer cet intérêt. Plus de 99% des
vins que l'ont boit le sont à étiquettes découvertes, la pure
aveugle ne peut être là à chaque fois pour briser un préjugé
défavorable. Si vous pensez que vous auriez un peu honte de servir
un vin chilien à des amis amateurs lors d'un bon repas, il n'y a
alors aucune raison de mettre ces vins en cave, peu importe leur
prix et leur niveau de qualité. La perception fait foi de tout dans ces
circonstances.
Le constat que je viens de dresser sur
la perception des vins chiliens est négatif, malheureusement,
n'empêche que le paysage vinicole de ce pays continue de se
développer et de se diversifier. Il y a aussi eu des progrès
commerciaux réalisés au cours de la dernière décennie. Il y a
beaucoup plus de vins chiliens de milieu et de haut de gamme
qu'avant, même si ça demeure une part de marché très restreinte
et que ces vins demeurent quand même sous-évalués. Pour terminer sur une note
positive, je joins un lien vers la liste top 10 de l'expert
britannique des vins du Chili, Peter Richards. Cette liste est plus
un top 10 des coups de cœur de M. Richards, qu'une liste des 10
meilleurs vins du Chili. Il est intéressant de noter la présence de
deux vins de Cabernet âgés dans cette sélection. D'abord la cuvée
Antiguas Reservas, 1998, de Cousino Macul, un vin que j'ai toujours en cave et un vin de Santa Carolina du millésime 1967. Vous avez bien lu, 1967, dans cette perspective,
le Cousino Macul est un bébé. Ça montre que les Cabs chiliens de
prix très abordables peuvent vieillir très longtemps. M. Richards
inclut dans sa liste un Riesling de Casa Marin. À quand un premier
Riesling chilien à la SAQ? Il y a aussi le Pinot Noir, Wild Ferment, 2012, Aconcagua Costa, Errazuriz. Je lisais récemment sur FDV que le Chardonnay,
2011, de la même gamme avait très bien fait à l'aveugle contre des
vins Chardonnay bien plus chers de Bourgogne et d'ailleurs. On me
reprochera après ça de dire que certains vins chiliens pouraient se
vendre beaucoup plus chers s'ils étaient parés d'une étiquette
plus prestigieuse. Peter Richards complète sa liste par la Syrah d'entrée de gamme de Vina Leyda. À quand une vraie Syrah de climat
frais à prix abordable à la SAQ? Pour ce faire il faut regarder du
côté de Vina Leyda, bien sûr, mais il y aussi Vina Falernia, dans Elqui, qui produit des vins aux airs de Côte-Rôtie à moins de 20$.
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