jeudi 19 août 2010

Vins issus de vignes greffées et non-greffées: Une comparaison intéressante

Ceux qui me lisent avec une certaine régularité, que ce soit ici sur ce blogue, ou auparavant sur FDV, savent que j’attribue une bonne partie du caractère distinctifs de plusieurs vins chiliens au fait qu’il s’agit du seul pays au monde où la très grande majorité des vignes sont plantées franches de pied, plutôt que greffées sur des portes-greffes hybrides. Changer les racines d’une plante n’est pas un acte anodin. Il m’a toujours semblé évident que cela devait entraîner des changements dans la nature des fruits pouvant être produits, et partant, dans celle des vins qu’on pouvait espérer en tirer. J’ai lu de nombreuses références par le passé indiquant que la nature du porte-greffe avait une influence importante sur la vigueur de la vigne. Ainsi donc, dépendant de la fertilité du sol et de la nature du cépage, et même du clone de ce cépage, le vigneron peut choisir un porte-greffe qui atténuera la vigueur de la vigne. Cela représente un avantage très important dans l’élaboration d’un vignoble visant à produire des vins de grande qualité. Une vigne moins vigoureuse concentre plus de ressources sur ses fruits, et moins sur le développement du bois et du feuillage. Cela a donc un impact important sur la qualité des fruits pouvant être obtenus. La crise du phylloxéra, il y a plus d’un siècle, a donc modifié la viticulture mondiale en y apportant un élément nouveau et déterminant. Un élément qui s’est raffiné au fil des décennies avec le développement de toute une panoplie de porte-greffes pouvant s’adapter aux différents types de sols et aux différents cépages qu’on veut y greffer. Si on pense aussi aux divers clones disponibles pour un même cépage, la vigne d’aujourd’hui est donc une entité adaptable qui est bien différente de la vigne “tout en un” et non sélectionnée du 19ième siècle. Encore une fois, le seul endroit où les choses ont peu changé depuis ce temps, c’est au Chili. Un endroit à la viticulture unique, vestige d'une autre époque. Je dis que les choses ont peu changé au Chili, car encore plus de 90% du vignoble chilien est planté sans porte-greffe. Toutefois, cela commence à changer. De plus en plus de producteurs introduisent le greffage et les porte-greffes dans leur arsenal. Aussi, chose pratiquement unique au Chili, on greffe de plus en plus de cépages Vitis vinifera sur des racines Vitis vinifera d’un autre cépage. Comme en greffant de très vieilles vignes de Païs avec des cépages plus réputés.

Un des producteurs chiliens qui depuis plusieurs années expérimente avec les porte-greffes, est le groupe Santa Rita, qui inclut aussi Vina Carmen. Cette semaine, j’ai eu la chance de tomber sur un article très intéressant du magazine chilien “Vitis”, et qui montre une comparaison de trois paires de vins issus de vignes greffées et non greffées. Les résultats sont très intéressants et montrent bien que le greffage a un effet direct sur la nature des vins obtenus. Dans les trois cas, les vignes sont issues du même vignoble, même de rangées de vignes voisines ayant des sols identiques. Dans aucun cas la comparaison n’est parfaite, car certains éléments sont différents (clones, année de plantation), mais tout de même, les comparaisons sont assez proches et les différences de profil des vins assez claires pour voir que le greffage a une influence indéniable sur les vins obtenus. D’ailleurs, dans les trois cas, on parle de vignes dont les raisins servent à produire des vins que je connais, soit la Sauvignon Blanc “120" de Santa Rita, le Cabernet Sauvignon “Medalla Real” de Santa Rita, et le Merlot, “Reserve” de Vina Carmen, issu de la vallée de Casablanca. Il est à noter que dans le cas du Cabernet Sauvignon, on dit clairement que le greffage a été utilisé pour atténuer la vigueur de la vigne non-greffée. En ce sens, il est intéressant de noter que la vigne greffée moins vigoureuse produit deux fois plus de fruits que la vigne non-greffée, et que la qualité du vin produit est au moins aussi bonne, même si les profils des vins sont différents. De plus, dans le cas des deux paires de vins rouges, il est intéressant de noter que les versions issus de vignes non-greffées sont toutes deux qualifiées de “herbal”, contrairement à leurs contreparties issues de vignes greffées. Cela est intéressant quand on sait que les rouges chiliens sont souvent décriés par certains pour leur caractère végétal. Et si la viticulture pré-phylloxéra donnait des vins au caractère végétal plus affirmé à cause, entre autre, d’une plus grande vigueur des vignes non-greffées? La réponse à cette interrogation n’est pas définitive, et c’est sûr que les Chiliens vont continuer de se pencher sur la question. Une chose est sûre toutefois, ce type d'expérience apporte un éclairage intéressant sur la viticulture particulière de ce pays, et offre des pistes pour mieux comprendre ses vins. Ça peut aussi permettre de se demander à quoi ressemblerait les vins européens si le phylloxéra n'avait pas complètement changer la donne.

Si la lecture de cet article vous intéresse, je joins le lien vers l’édition pdf du magazine le contenant. L’article commence à la page 13 et est disponible en espagnol et en anglais. D’ailleurs, une bonne vingtaine de numéros de cette revue, remontant jusqu’à 2007, sont disponibles gratuitement en version pdf. Beaucoup de lecture en perspective pour moi qui vient juste de découvrir cette petite mine d'information. Dans le même numéro, il y a d'ailleurs un article intéressant sur le marché du vin canadien observé du point de vue des Chiliens. Ils ne semblent pas très entichés de nos monopoles étatiques.

http://www.vitismagazine.cl/pdf/rev_31.pdf



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1 commentaire:

  1. Merci pour le lien. L'article à laquelle tu fais référence pour ce qui est des politiques d'achat de la LCBO (on pourrait dire aussi la SAQ) reflète le commentaire que Courney Kingston de Kingston family Vineyard me disait lors d'un échange de courriel; les systèmes d'achats de l'ontario et du Québec sont lourd et découragent les producteurs qui voudraient vendre ici. Espéront au moins un amélioration de l'offre de produits chilien à être offert ici et en Ontario...

    Patrick

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