Ce vin est le premier millésime de pur
Carmenère produit par Errazuriz dans sa gamme de base "Estate".
Depuis il y a des vins de Carmenère à tous les niveaux du
portefeuille de ce producteur, dont une cuvée "
SingleVineyard" qui est excellente et dont j'ai déjà parlé sur ce
blogue. Dans le cas de cette cuvée "Estate", 2003, Errazuriz en était
donc encore à l'étape d'apprentissage même si les vignes avaient
quand même 10 ans, ayant été plantées en 1993. Peut-être
avaient-elles été plantées en pensant qu'il s'agissait de Merlot,
ce qui expliquerait que la première cuvée identifiée comme
Carmenère ne soit venue que 10 ans plus tard. Ce vin a été élevé
sept mois en barriques de chêne français et américains, à parts
égales. Il titre à 14% d'alcool pour un pH assez élevé de 3.76.
Dès sa sortie, le producteur évoquait un potentiel de garde de 10
ans pour ce vin. Je pense bien être un des rares qui aura mis cette
estimation à l'épreuve.
La robe est de teinte grenat encore
bien soutenue, mais un aspect translucide légèrement orangé
apparaît au pourtour du disque. Le nez est simplement superbe et
très complexe avec une palette d'arômes mi-évolués où l'on
retrouve un beau fruit rouge subtil, amalgamé à des notes de sous
bois, d'encens, de camphre et de café. Il y a aussi un léger aspect
floral et un côté épicé évoquant la vanille, la fumé et le
sucre brûlé. Vraiment un très beau nez, tout en finesse, le genre
qui nous active un ressort dans le bras qui nous fait y revenir
inlassablement. Le charme opère de la même façon en bouche où
l'on retrouve un vin délicat, tout en finesse. La matière est
fondue et la texture est lisse. Ceci dit, les saveurs sont encore
bien vivantes et forment un très heureux mariage. On y retrouve une
bonne dose de fruit rouge mi-évolué, appuyé sur une juste touche
d'amertume, et auquel s'entremêlent des notes de thé et d'épices
douces. Le milieu de bouche met en valeur le côté aérien de ce
nectar. Ça ne manque pas de concentration, mais la puissance n'est
pas à l'ordre du jour. Le vin joue dans un autre registre où le
temps a arrondi les angles et allongé les formes, tout en le
délestant de manière a obtenir l'équilibre souhaité. La finale
confirme avec délicatesse et persistance sur des relent de fin
chocolat noir.
Excusez les excès de ma description
ci-haut, mais il y a des bouteilles qui suscitent l'enthousiasme et
celle-ci le mérite pleinement. Qu'un vin d'entrée de gamme de moins
de 15$ puisse donner un tel résultat presque 11 ans après la
récolte des fruits dont il est issu est simplement renversant. Ce
vin résume ce pourquoi je continue de m'intéresser aux vins du
Chili. Ça explique aussi pourquoi ma cave en est pleine. Mon seul
regret c'est d'avoir ouvert cette bouteille en solitaire, car dans
une dégustation en pure aveugle il aurait déculotter bien
sceptiques. Ce vin est actuellement dans la phase que je préfère,
avec l'affinage et la complexification qu'apporte le temps en
bouteille, mais sans que cela ne se fasse au détriment du fruit. Les
divers éléments du vin se sont transformés de façon à offrir un
nouvel équilibre. Ce vin n'a rien à voir avec ce qu'il donnait en
prime jeunesse où il montrait un côté végétal très marqué. Le
mot métamorphose dans son cas n'est pas exagéré. Il a donc un
potentiel de garde et un niveau qualitatif totalement hors de
proportion par rapport à son prix. Hélas, ce vin rappelle aussi
l'incapacité du Chili comme nation vinicole à faire connaître le
potentiel de garde de ses vins rouges de prix abordables.
Malheureusement, la seule façon de constater ce potentiel, c'est
d'acheter une bouteille comme celle-ci et d'avoir la patience et la
foi de la garder de huit à dix ans au cellier. Combien d'amateurs
seront prêts à faire cet acte de foi? Selon mon expérience, très
peu, car même surpris à l'aveugle, l'effet repoussoir de l'origine
sans prestige du vin jouera ensuite son rôle. J'ai surpris bien des
amateurs à l'aveugle avec des vins comme celui-ci, mais ça n'a pas
fait d'eux des convertis aux vertus des vins de ce pays. C'est
malheureusement le catch 22 dans lequel le Chili est pris. Les
amateurs ne sont généralement pas intéressés à garder des vins
sans prestige, si bons puissent-ils être, et le consommateur moyen
n'a rien à faire d'un vin de ce genre car il n'est pas intéressé
par la garde. Donc, au final, les seuls efforts des producteurs
chiliens pour promouvoir le potentiel de garde de leurs vins se fait
avec des bouteilles coûteuses qui jouent sur l'effet Veblen pour
acquérir un peu de crédibilité. C'est le cas justement de
Errazuriz qui promeut le potentiel des vins très chers du groupe,
alors que des vins comme celui-ci, et bien d'autres continuent d'être
bus seulement en prime jeunesse. C'est bien dommage.
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