Dans mon texte récent relatant une dégustation de jeunes Syrahs chiliennes, j'y étais allé d'un plaidoyer incitant les producteurs chiliens à démontrer l'excellent potentiel de garde de leurs vins rouges, et dans ce cas précis, de leurs vins de Syrah. Avec l'expérience que j'ai des vins de ce pays, je suis convaincu du potentiel de garde de la nouvelle génération de Syrahs chiliennes. Mais quand on prend position de manière aussi affirmée, il y a toujours une petite arrière-pensée qui nous revient à l'esprit par la suite. En ai-je trop mis? Est-ce que mon enthousiasme a dépassé la réalité? C'est avec ce léger questionnement en tête que j'ai décidé d'ouvrir une des plus vieilles Syrahs chiliennes que j'ai au cellier. Juste pour me rassurer. Juste pour voir si je n'avais pas beurré trop épais. Ce vin a huit ans de plus par rapport à la Syrah, Max Reserva, 2009, de la dégustation, et qui est actuellement disponible sur les tablettes de la SAQ. Ça me semble donc un bel exemple de moyenne garde. Ce vin provient des premières vignes de Syrah plantées au Chili en 1992 et 1993. C'est donc un des meilleurs exemples de vin de Syrah que l'on puisse trouver à ce stade pour évaluer le potentiel de garde des vins de ce cépage au Chili. Bien sûr, ce n'est qu'une cuvée, venant d'une région précise et d'un producteur reconnu. On ne pourra pas extrapoler à tout le pays sur cette seule base, mais ça me semble un bon point de départ pour suivre le parcours de ce cépage au Chili. À noter qu'à partir du milésime 2000, et pour quelques années par la suite, Errazuriz a identifié cette cuvée par le terme Shiraz, probablement pour des raisons commerciales, pour finalement revenir à la dénomination Syrah des premières années. Ce choix est cohérent avec ce que fait l'ensemble du pays qui a choisi le terme Syrah pour promouvoir les vins de ce cépage. Ça me semble un bon choix, car les vins chiliens de Syrah, même ceux de régions plus chaudes, se rapprochent plus du modèle français que de l'australien, sans être véritablement un calque de l'un ou de l'autre. De plus, des clones français sont utilisés. Ce vin a été élevé un an en barriques de chêne (un tiers françaises et deux tiers américaines, 43% neuves). Il a été légèrement filtré et titre à 14.5% d'alcool pour un pH de 3.65 et 2.25 g/L de sucres résiduels. Le producteur disait lors de son lancement qu'il devrait être à son mieux cinq ans après le millésime et bien vieillir par la suite pour plusieurs autres années. Bien sûr, en matière de vin le niveau d'évolution idéal est une question de goût. Mais en ouvrant cette bouteille en 2011, je suis clairement dans les années supplémentaires où selon le producteur ce vin continuera de bien vieilir.
La robe est d'une teinte grenat encore bien soutenue, mais néanmoins légèrement translucide et avec des reflets orangés au pourtour du disque. Le nez est envoûtant, rien de moins, vraiment superbe, à la fois complexe et raffiné. Comme c'est toujours le cas pour moi avec ce genre de vin, le nez agit comme un aimant par lequel je me sens attiré. Ce type de vin révèle aussi avec une acuité accrue les limitations du vocablaire quand il est question de décrire un vin. Les tentatives de descriptions sont toujours hautement imparfaites, mais dans le cas des vins ayant développé un caractère évolué, l'exercice me semble encore plus difficile et le résultat infidèle à ce qui est perçu. Comme pour un vin jeune, ce vin possède des arômes fruités et boisés, mais écrire fruits rouges ou épices douces, par exemple, n'a pas la même signification que pour un jeune vin. Ces éléments bien que toujours présents, sont différents de ce qu'ils étaient en prime jeunesse. L'analogie avec la patine des meubles anciens, sans être parfaite, est ce qui rend le mieux ce phénomène. Finalement, tout ce que je peux dire pour décrire le nez de ce vin, c'est qu'il y a encore un beau fruité rouge associé à un aspect doucement épicé, ainsi que de fines notes terreuses et de bois fin. Un léger aspect de chocolat noir complète le tableau. En bouche, le charme se poursuit avec une matière encore riche, mais souple et superbement fondue. Les divers éléments du vin sont bien intégrés et une sensation d'équilibre et d'harmonie se dégage de l'ensemble. Comme je l'expliquais pour le nez, les diverses saveurs du vin portent la marque du temps, avec un très beau fruit mâtiné de fines notes épicées et appuyé sur juste ce qu'il faut d'amertume. Le vin possède encore un bon volume et une belle présence en milieu de bouche. L'ensemble est caressant avec une trame tannique soyeuse. Le vin coule sans effort et est vraiment délicieux. La finale ne rompt pas le charme, au contraire, les qualités du vin y sont magnifiées en un sursaut d'intensité, suivi d'un long déclin des saveurs.
Quel beau vin! Vous aurez compris que pour moi il a facilement passé le test. Il en a donné beaucoup plus que ce qu'on peut normalement attendre d'un vin vendu sous la barre des 20$. C'est un vin qui selon moi est encore loin du terminus. J'y ai vu un vin à mi-parcours de son évolution possible. Un vin comme je les préfère, c'est à dire avec ce caractère évolué qui marque chacun de ses arômes et de ses saveurs, mais sans que rien n'ait disparu, avec encore beaucoup de fruit et de matière. Le bouchon était impeccable et ce vin aurait pu continuer son évolution pour une autre dizaine d'années, sans problème. Mon seul regret à propos de celui-ci est de l'avoir ouvert en solitaire. Je pense que c'est le genre de vin que j'aurais dû partager avec d'autres amateurs. La plupart des gens à qui j'ai fait vivre des expériences surprenantes avec des vins chiliens d'un certain âge et de prix très abordables s'en souviennent et m'en reparle lorsque je les croise de nouveau par la suite. Ce vin aurait pu se retrouver dans plus de mémoires que la mienne seule. Mais bon, j'avais le goût de répondre à mes légers doutes, et la réponse est celle que j'espérais. Pour quelqu'un comme moi qui accumule les rouges chiliens dans le but de pouvoir vivre de telles expériences de manière très régulière, un tel résultat est bien sûr très réconfortant. Si vous me prêtez deux onces de crédibilité, je ne saurais trop vous inciter à mettre quelques bouteilles de ce genre à l'ombre pour plusieurs années. Le retour sur investissement est vraiment extraordinaire. Aussi, si quelqu'un qui a une quelconque influence dans le milieu vinicole chilien venait à lire ce texte. Je vous enjoins à faire passer ce message à ceux qui décident de la stratégie commerciale du Chili. Un vin de ce genre et de cet âge devrait être commercialisé actuellement, et à un prix autour de 30$ ça constituerait un superbe achat qui contribuerait fortement à changer l'image des vins chiliens. Je sais que je me répète, mais je termine cette bouteille en écrivant ces lignes, et chaque nouvelle gorgée me convainc encore plus de la validité de mon affirmation. Une affirmation encore plus valable pour un marché comme le marché québécois, où l'aspect dit moderne des très jeunes vins est souvent décrié, alors que la finesse des vins d'un certain âge est généralement célébrée. Le problème c'est qu'il faut parfois être l'un pour devenir l'autre. Soyez certains que ce 2001 n'a rien à voir avec ce que donne actuellement le millésime 2009 de cette cuvée. Huit années de garde ont métamorphosé ce nectar et je ne doute pas que le 2009 suivra le même chemin pour donner à terme un résultat similaire. C'est ce potentiel que le Chili doit faire connaître. Le statut de leurs jeunes vins en sera changé par la suite, car il est impossible pour quelqu'un sans expérience de penser que le 2009 actuel goûtera ce que goûte le 2001 aujourd'hui. Je sais qu'il y a actuellement des Don Melchor et du Montes Alpha M des années 90 en vente à la SAQ, mais ces vins sont vendus à des prix exorbitants qui les rendent peu attrayants. La force inexploitée du Chili en terme de potentiel de garde réside dans ses vins de prix abordables.
Salut Claude,
RépondreSupprimerJ'en ai aussi accumulé quelques bouteilles avec les années dont du 1999, 2001 et des millésimes plus récent. C'est vrai que ce cépage vieilli bien, le cabernet aussi. Par contre, mom expérience est moins positive avec le merlot et le carmenère. Le Chili devrait suivre l'exemple de l'Espagne qui nous sort des Gran Reserva plusieurs années après leur embouteillage comme par exemple le Montecillo 1981 présentement dans le réseau, ce vin est délicieux, un vin de 30 ans d'age!! Va t'on avoir la patience de conserver nos vieux Chilien encore vingt ans?
Paul
Salut Paul,
RépondreSupprimerLe problème de plusieurs producteurs chiliens, c'est qu'ils ne gardent même pas les anciens millésimes comme référence pour eux-mêmes. Ainsi on comprend mieux pourquoi ils ne mettent pas sur le marché de vieux millésimes. Ceci dit, ce n'est pas un problème exclusivement chilien, mais un des pays qui aurait le plus à gagner d'une telle pratique, c'est justement le Chili. À cause de la capacité générale de ses vins rouges à bien vieillir, mais surtout à cause de son déficit d'image.
Claude
Probablement aussi parce qu'ils n'ont pas le même historique que la vieille Europe, ils font partie du ¨Nouveau monde¨. J'espère et je pense que cela va changer. Le Chili a aussi ses grandes cuvées depuis quelques année (Don Melchor, Chadwick ect..) Ils se rendent aujourd'hui compte de la grande capacité de leur vins a vieillir. Je serais curieux de connaitre les plus vieux millésimes conservés dans certaines de leur caves. J'aimerais beaucoup essayé un très vieux Chilien (sans avoir à attendre mes bouteilles jusqu'a 70 ans)et pouvoir comparer avec ce qui se fait ailleurs.
RépondreSupprimerBravo pour ta deuxième année d'existence, lâche pas, tu es ma seule ressource pour cette région du monde qui a beaucoup à offrir.
Paul