dimanche 22 mai 2011

Vin bouchonné: Pas toujours facile de s’y retrouver

J’ai lu avec intérêt un fil de discussion sur le forum Fouduvin où l’on traite de vin bouchonné et de la difficulté de retourner des bouteilles coûteuses, jugées défectueuses, à notre monopole provincial. Je comprend qu’il doit être très frustrant de se faire regarder comme un fraudeur potentiel lorsqu’on retourne une bouteille qu’on juge défectueuse en toute bonne foi. Surtout que mon expérience de dégustation en groupe m’a montré que la sensibilité au 2,4,6-trichloroanisole (TCA) est très variable chez les individus. J’ai même rencontré des amateurs qui m’ont avoué ne jamais avoir rencontrer de vins bouchonnés. Par respect je ne leur ai pas dit, mais pour moi c’était une preuve que ces individus étaient insensibles à cette molécule. Ce qui fait que lorsque je retourne une bouteille bouchonnée, je me demande toujours quelle est la sensibilité du préposé qui est supposé valider le défaut allégué du vin. Je me souviens avoir rapporté un jour un vin bouchonné, et la conseillère de la SAQ m’avait dit avant de vérifier le contenu de la bouteille qu’elle était très sensible au TCA. Après avoir bien humer le vin, elle m'a rétorqué que celui-ci n’est pas bouchonné, mais plutôt “bretté” et que cela n’était pas un défaut!!! J’ai gardé mon calme en me contentant de lui redire que je considérais le vin comme défectueux. Comme la bouteille était un Cabernet chilien d’à peine 18$, je suppose qu’elle a considéré qu’il ne valait pas la peine d’argumenter plus longtemps, et a décidé de m’échanger le vin. Toutefois, si la bouteille avait été un bordeaux de bon prix. J’aurais probablement eu droit au test de laboratoire moi aussi. Je n’aurais pas aimé me faire dire que j’avais tort par une analyse de laboratoire, et pourtant je suis chimiste de profession. Car on le sait, bien, l’analyse de laboratoire c’est l’argument massue, l’argument inattaquable, mais pourtant...

Si on me servait l’argument de l’analyse chimique pour me dire que j’ai tort dans une pareille réclamation. J’aimerais bien que ça aille plus loin que de me dire que c’était négatif. J’aimerais avoir des détails. Justement, j’aimerais bien savoir si la SAQ teste les vins seulement pour le TCA, ou bien pour l’ensemble des haloanisoles (bromoanisoles, dichloroanisole, tetrachloroanisole, pentachloroanisole). Aussi, le seuil de détection des chloroanisoles peut être influencé par la présence et la concentration d’autres molécules phénolées dans le vin, comme les chlorophénols et le guaïacol. Selon la littérature, le TCA est considéré comme un défaut à partir de 2 ng/L. Pourtant, les seuils de détections des dégustateurs les plus sensibles peuvent être aussi bas que 0.03 ng/L. Dans ce contexte, il serait aussi intéressant de savoir quelle est la limite de détection des analyses de la SAQ, et quelle est la concentration de TCA qu’elle considère comme un défaut. Selon moi, il y a clairement là beaucoup de place à l’arbitraire, malgré l’apparente incontestabilité de l’analyse de laboratoire. Ceci dit, ça demeure une situation difficile, car la fraude existe sûrement en cette matière, et il y a probablement des clients qui rapportent de bonne foi des vins, en pensant qu’ils sont bouchonnés, alors que ce n’est pas le cas en réalité. Ce qui me semble le plus frustrant, c’est le flou qui entoure le processus d’évaluation des demandes de retour. Une bonne partie de l’issue se joue sur le contact humain avec l’employé qui accueille la plainte. Ajoutez à cela tous les autres défauts possibles du vin, défauts qui pour certains sont au contraire des qualités... On comprend facilement pourquoi retourner une bouteille d’un certain prix n’est pas toujours simple. Extrait intéressant pour finir d'un des deux documents dont je joins le lien

"Recently, Soleas and colleagues (2002) have analyzed more than 2.400 different wines from several countries. The study consisted on tasting the wines by a panel of experts which could detect 2,4,6-TCA at a concentration of 2 ng/L or higher. The conclusions of this study were the next:

I).- The 6.1% of the wines tasted were considered to be affected by cork taint. 

II):- A second analysis of the tainted wines by Gas Chromatography-Mass Spectrometry (GC-MS) showed that only 51% (74) of the wines had 2,4,6-TCA levels higher than 2 ng/L. Therefore, the 49% of the wines initially defined as cork tainted suffered contamination by other unidentified compounds different from 2,4,6-TCA, and probably this taint could not be attributed to the cork stopper."

http://www.scientificsocieties.org/jib/papers/2009/G-2009-0409-599.pdf

http://www.apcor.pt/userfiles/File/Causes%20and%20origins%20of%20wine%20contamination%20%20by%20haloanisoles.pdf

http://www.fouduvin.ca/viewtopic.php?f=2&t=18340


 
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4 commentaires:

  1. Bonjour Claude,

    Dans ton aventure de retour de bouteille, qu'est ce qui t'as dérangé le plus ? L'hésitation ou te faire dire que tu confondais brett et TCA ? :-))))))

    Black

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  2. Salut Benoît,

    Ni l'un ni l'autre, j'ai assez confiance en mes perceptions dans les deux cas. Ce qui m'avait fait tiquer à l'époque, faut dire que j'étais alors assez intense sur ce sujet, ça avait été de me faire dire que les arômes Bretts n'étaient pas un défaut. Aujourd'hui ça me dérangerait moins, mais à l'époque ça m'avait un peu choqué. Mais comme je voulais qu'elle m'échange ma bouteille, j'avais préféré ne pas argumenter sur la question. De toute façon c'eut été une perte de temps, elle confondait vin bouchonné et vin "bretté".

    Claude

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  3. "et il y a probablement des clients qui rapportent de bonne foi des vins, en pensant qu’ils sont bouchonnés, alors que ce n’est pas le cas en réalité"

    Par contre, il y a au moins 10 fois plus de gens qui ne rapportent pas leurs bouteilles bouchonnées, ignorant qu'elles le sont! Lors de mon cours d'Initiation au Vin, j'apporte une bouteille légèrement bouchonnée aux participants car la plupart ignorent comment détecter ce défaut!
    Avant l'apparition des bouchons synthétiques vers la fin des années 90, 10 à 15% des vins vendus à cette époque étaient plus ou moins bouchonnés...une vraie épidémie.

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  4. Il est clair que la SAQ rembourse beaucoup moins de vin pour cause de de TCA que le nombre de vins qu'elle vend qui sont affectés par ce problème. Ça rend encore plus frustrant les problèmes de remboursement ou d'échange qui peuvent survenir.

    À ce sujet, la conclusion de l'épisode sur FDV a montré que la SAQ ne fait pas de test de laboratoire lorsqu'elle envoie un vin au labo pour analyse, le vin est plutôt tester par analyse olfactive. Le problème, c'est qu'il faudrait que les analystes soient certifiés pour leur très grande sensibilité au TCA. Ce qui ne semble pas être le cas. Aussi, pour certains vins, le TCA est plus facilement perceptible en bouche qu'au nez. Je ne pense pas que les analystes de la SAQ se mettent en bouche les vins retournés.

    Claude

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