dimanche 10 juin 2012

Le Chili est un producteur de classe mondiale


Eduardo Chadwick est un des plus grands leaders du monde vinicole chilien. Il mène plusieurs projets de front, d'abord Errazuriz, mais aussi Vinedo Chadwick, Sena, Arboleda et Caliterra. Frustré par le manque de reconnaissance rencontré selon lui par les vins chiliens dans la presse spécialisée mondiale, Chadwick s'est lancé depuis 2004 dans une série de grandes dégustations à l'aveugle où ses vins sont servis en parallèle avec certains des vins les plus réputés et les plus chers du monde. Le 18 mai 2012 il a remis ça à Londres lors d'une dégustation où le focus était mis sur la cuvée Sena. Peter Richards, le spécialiste des vins chiliens pour la revue Decanter rend compte sur son blogue de cette dégustation qu'il a co-présidée. Son texte est très intéressant. D'abord, M. Chadwick y explique pourquoi il persiste à tenir ce genre d'événements. Je le cite en traduction libre :

"La raison pour laquelle j'ai commencé à tenir ces dégustations était que je suspectais que nos meilleurs vins étaient sous-évalués au niveau des scores simplement parce qu'ils étaient du Chili. C'est pourquoi j'ai voulu une « justice aveugle ». Mon but avec ces dégustations n'est pas de prouver que nos vins sont meilleurs que d'autres. Le but est de prouver qu'ils sont de classe mondiale"

Prouver la classe mondiale des meilleurs vins chiliens inclut aussi de démontrer leur potentiel de garde. Une chose que les dernières dégustations organisée par M. Chadwick ont bien démontré. Il est aussi intéressant dans le texte de Richards de comparer ses propres choix avec ceux du groupe d'une cinquantaine de dégustateurs, incluant des acheteurs britanniques et un bon nombre de représentants chinois. Le groupe a préféré des vins plus jeunes, Sena 2008, Sena 2010, alors que Richards, un « Master of Wine » a préféré un vin plus âgé, le Sena, 1997, classé huitième sur 10 par le groupe. Lors d'une autre dégustation avec douze « Masters of Wine » tenue en octobre 2011 à Santiago, le même Sena, 1997, avait terminé premier et le 1995 deuxième. J'ai trouvé cette différence intéressante car elle concorde avec mon expérience de dégustation avec des passionnés et connaisseurs. J'ai toujours remarqué qu'à l'aveugle le connaisseur aura tendance à choisir les vins de profils plus évolués par rapport aux vins à la jeunesse évidente. Parfois je me demande si ce choix est vraiment une question de goût ou bien si c'est pour se conformer à l'idée de ce que devrait être un vrai connaisseur. Il faut aussi noter que l'âge atténue les caractéristiques d'origine des vins. Ce qui fait que les vins chiliens âgés ont toujours beaucoup plus de succès à l'aveugle au près des connaisseurs, car l'origine est plus difficilement détectable. La justice aveugle réclamée par M. Chadwick est ainsi plus facilement rendue.

Toute la démarche d'Edurado Chadwick est une quête de reconnaissance. On pourrait aussi dire que c'est une quête de justice, mais je pense que l'homme est trop lucide pour croire que le monde du produit de luxe auquel il s'attaque a quelque chose à voir avec ce grand principe. Les prix demandés par Chadwick pour ses vins sont parmi les plus élevés du Chili, preuve qu'il a compris le mécanisme de l'effet Veblen. Toutefois, il faut mettre les choses en contexte. Ces prix élevés, dans le contexte chilien, demeurent très bas face aux vins prestigieux consacrés. Toutefois, la quête de prestige associée aux prix élevés font des vins de Chadwick de mauvais achats dans le contexte chilien, pour qui s'intéresse strictement au vin et n'est pas à la recherche d'un produit de luxe. De la même façon que les premiers grand crus de Bordeaux sont de mauvais achats sur une stricte base de rapport qualité/prix. Je demeure admiratif de la démarche d'Eduardo Chadwick car elle comporte une bonne dose de courage et de persévérance. Je pense aussi que pour un pays vinicole en déficit de prestige comme le Chili, cette démarche est nécessaire. Dans le monde du vin, le respect s'acquière avec la qualité, bien sûr, mais aussi avec le prix affiché sur la bouteille sur une longue période. Mettre un prix élevé sur une bouteille est une chose, mais arriver à vendre ce vin année après année en est une autre. C'est un pari entrepris il y a plus de dix ans par Chadwick et qu'il est en train de gagner. Cette victoire est bien sûr symbolique, mais il ne faut pas sous-estimer la valeur des symboles. De plus, au-delà des symboles et du prestige, pour qui n'est préoccupé que par le vin, le Chili est clairement un producteur de classe mondiale. Il continue d'offrir de formidables vins, de styles de plus en plus variés, à des prix défiant toute compétition. Le Nouveau-Monde dans le meilleur sens du terme.

Lien vers un portrait d'Eduardo Chadwick et de sa stratégie pour son groupe et pour l'ensemble du Chili vinicole

5 commentaires:

  1. J'ai ajouté un lien à la fin du texte vers un portrait d'Eduardo Chadwick on l'on décrit son parcours et sa stratégie pour le développement du Chili vinicole. Une stratégie qui passe par une amélioration de l'image de marque du pays dans son ensemble.

    Claude

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  2. Les résultats qu'il obtient durant les dégustations l'amènent à offrir son vin à un prix toujours plus élevés, ce qui entraine qu'il passe de mieux en mieux dans les dégustations, ce qui aura un effet à la hausse sur le prix, qui... hahahaha !

    Black

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  3. Salut Black,

    Les dégustations sont à l'aveugle et ses vins sont toujours à un dixième ou un quinzième de prix des 1GCC bordelais, alors ça n'influence pas les résultats des dégustations. Toutefois ça influence les décisions d'achat par la suite et ça contribue sûrement au fait que certaines personnes sont prêtes à payer un prix qu'il n'aurait jamais payé avant pour un vin. De plus d'avoir un Vinedo Chadwick à 165$, ça change la perspective par rapport aux prix des vins chiliens. Payer 30-40$ pour un vin chilien paraît plus acceptable. C'est psychologique.

    Claude

    *

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  4. Olivier Collin15 juin 2012 à 22:18

    Ok, ça suffit les pitreries... Personne n'a jamais pensé à faire la dégustation miroir?

    6 millésimes de Lafite-Rotchschild, 1 Sena et d'autres vins en unique exemplaire? Puis-je vous garantir que des Lafite vont sortir aux premiers rangs... Come on...

    Faisons la dégustation suivante : 1 Sena d'un millésime parmi 10 vins adoitement chois entre 25 et 50$... Voyons si Sena sort si bien... Je serai très heureux d'organiser une telle dégustation à coûts partagés parmi les participants.

    PS : Claude, j'aime souvent les articles que je lis, désolé (encore une fois) d'écrire sur un sujet de discorde!

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  5. Tiens! Un revenant. Olivier as-tu lu mon texte comme il faut et as-tu lu le texte de Peter Richards ou bien t'avais juste envie de te taper une petite montée de lait? Toutes les nuances voulues sont là, que ce soit de la part de Chadwick, de Richards, ou de moi-même.

    Je me souviens qu'en 2004 sur Crus & Saveurs, quand j'avais rapporté les résultats de la première dégustation de Chadwick à Berlin, on disait qu'ils étaient invalides car les 1GCC bordelais impliqués étaient trop jeunes. Maintenant Chadwick choisit des vins plus vieux, mais là le problème c'est le nombre. C'est vrai que la conception de cette dégustation serait mauvaise si le but était de démontrer la supériorité de la cuvée Sena. Mais le but est de démontrer qu'ils peuvent tenir la comparaison avec des vins reconnus. Comme Chadwick, le dit, le but est de démontrer la classe mondiale de ses vins, pas de prouver qu'ils sont meilleurs que d'autres.

    Pour ce qui est de ton idée de dégustation, je te concède d'emblée que Sena ne finirait pas premier même au travers de 10 autres chiliens entre 25-50$ adroitement choisis par moi-même. Ça validerait ma limite personnelle de 50$ la bouteille! Pour le reste, la chasse au chilien par un beau jury qui aurait le radar ouvert pour détecter l'ennemi et l'abattre, très peu pour moi. J'ai déjà donné dans des exercices du genre.

    Claude

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