mercredi 25 août 2010

Le goût québécois et l'approche européenne

Je continue ma lecture des différents numéros du magazine chilien “Vitis”, et chemin faisant je suis tombé sur un article dédié aux fameuses levures Brettanomyces. À la lecture de cet article, je n’ai pu m’empêcher de sourire tellement c’était réconfortant pour un palais perdu comme le mien dans ce Québec où règne en maître la culture européenne du vin. Ça me ramenait directement au texte récent que j’ai écrit et que j’avais ironiquement intitulé “L’approche européenne”.

Le texte de “Vitis” sur les Bretts commence par une anecdote de l’auteur qui raconte comment un juge canadien, qui est en fait Québécois, avait donné, lors d'un concours, une note de 90 à un Carmenère chilien clairement bretté, alors que des collègues chiliens avaient noté le même vin 70 et moins à cause de ce “défaut”. Pour expliquer une telle différence d’appréciation, l’auteur fait valoir que le juge québécois avait été formé à l’école française du vin et que ces arômes étaient donc normaux pour celui-ci.

Il semble clair que dans le cas de ces arômes, au-delà des très fortes différences de sensibilité entre individus, il existe un phénomène de goût acquis. Il me semble impossible d’être amateur de vins européens haut de gamme et en même temps de ne pouvoir tolérer ces arômes. On peut aimer ceux-ci d’emblée, ou y être relativement insensible. Sinon il est nécessaire de s’y faire s’y on veut embrasser pleinement la culture européenne du vin. C’est une condition obligatoire, autrement les déceptions seraient beaucoup trop nombreuses. Dans ces conditions, il est facile de comprendre pourquoi il n’y a au Québec aucune personnalité connue écrivant sur le vin qui nomme clairement ces arômes. Pour ceux qui peuvent les détecter, ils sont considérés comme normaux. Alors que pour bien d’autres, dans la majorité des cas, ils ne sont simplement pas perçus.

Je sais que j’ai l’air de cogner sur le même clou, mais mon but n’est pas de m’acharner. J’essaie seulement de souligner que la perception et l’appréciation du vin est aussi une question d’éducation. Et lorsque presque tout le monde subit la même influence, on appelle ça la culture. La culture du vin au Québec est européenne, et surtout française. Il y a une sorte de conformisme plus ou moins volontaire de relié à cela. À force de se faire dire qu’une chose est bonne, ou à tout le moins normale, on y adhère, ou on s’y habitue. Si le discours ambiant était autre. Il est clair que le goût québécois et les habitudes de consommation en matière de vin serait différents. Je sais bien que la réalité n’est pas près de changer, mais comme amateur passionné par ce liquide, peu importe nos préférences, je pense qu’il est important et intéressant d’avoir conscience de la situation. Ça peut aider à mettre les choses dans une perspective plus complète.


http://www.vitismagazine.cl/pdf/rev_28.pdf


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4 commentaires:

  1. Bonjour Claude,

    Comme toujours, j'ai un plaisir mitigé à te lire. D'une part j'aime tes questionnements et ta passion des vins chiliens et argentins, mais en même temps quand je tombe sur des phrases aussi peu nuancées que :

    "Il me semble impossible d’être amateur de vins européens haut de gamme et en même temps de ne pouvoir tolérer ces arômes."

    je décroche face à ton discours. Car il est loin d'être vrai que la vaste majorité des grands vins "européens" sont contaminés aux bretts et de voir un pan complet de la production mondiale vinicole être ainsi rejetée du revers de la narine me navre. Est-tu vraiment sûr que les Lafite, DRC et autres Guigal sont contaminés? Et puis tu n'es pas sans savoir que le problème des bretts est extrêmement présent en Australie, parmi des producteurs qui n'ont rien d'européen.

    La gamme de vins qui t'intéresse et sur laquelle tu as une réelle expérience offre surtout des produits filtrés, qui doivent voyager et être vendus sur un laps de temps assez étendu et dont une des vertus principales est la régularité. Il est normal que tu n'y trouves pas de bretts, jamais.

    Mais de maintenir que de l'autre côté la viticulture est forcément défectueuse, que les dégustateurs ont forcément acquis un goût poutr les bretts, etc est à la fois incongru, assez borné d'esprit et, au final, basé sur une expérience assez sommaire de cet aspect du monde du vin.

    Au plaisir d'en discuter un jour de vive voix,

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  2. Salut Olivier,

    Si certains se demandent encore pourquoi j’ai délaissé les forums sur le vin pour écrire sur un blogue personnel. Ils n’ont qu’à bien lire ton message, ils comprendront facilement. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je le publie, car pour le reste, je t’ai déjà connu plus rigoureux dans tes commentaires. Mais je suppose que rigueur et respect vont de pair... Pour le reste, je t’ai déjà écrit lors d’une de nos discussions passées que tu es bien plus passionné que moi. Veux-tu que je te dise que tu es aussi bien plus expérimenté? Et bien je te le dis. Et puis après? Je sais que pour discréditer un message, il est parfois plus simple de s’en prendre à la crédibilité du messager. C’est du déjà vu en ce qui me concerne.

    Pour le reste, je n’ai jamais écrit que les bretts touchaient la vaste majorité des grands vins européens. J’ai parlé de grande prévalence et de terrain miné. Je n’ai jamais non plus parlé de viticulture défectueuse. Le problème n’est absolument pas là, un passionné ayant ta vaste expérience devrait savoir cela. De plus, pour moi, les déviations bactériologiques post-FA ne se limitent pas aux brettanomyces. C’est un sujet plus complexe ou, en plus des levures, divers types de bactéries peuvent être impliquées, et à ce sujet, il est vrai que je manque d’expérience. J’aimerais bien expérimenter avec des composés comme les amines biogènes (putrescine, cadavérine, histamine), et bien d’autres. Comme tu le sais, je l’ai déjà fait avec le 4-ethyl phénol et le 4-ethyl gaiacol. Je compte bien le faire bientôt avec la pyridine. J’ai appris récemment que cette molécule, avec laquelle je travaille à chaque jour au laboratoire, était responsable de l’arôme de truffe. Mais en même temps, j’ai aussi appris que le seuil de détection pour ce composé variait selon les individus de 0.04 à 40 ppm. Les variations de sensibilité pour les phénols sont aussi très grandes. Dans ma courte expérience, j’ai eu l’occasion de croiser des dégustateurs très peu sensibles à différents composés, que ce soit le 4-EP ou le TCA. Connaître sa sensibilité à certains composés me semble important quand on veut mieux se comprendre comme dégustateur. Et puis au-delà de la sensibilité physiologique, il y a l’accoutumance psychologique à certains arômes qui joue un rôle. Je le sais. Je suis tellement habitué aux vins filtrés et réguliers, conçus pour durer en tablettes, que je ne le remarquais plus!!! Merci de me le rappeler. Ça m’aidera sûrement à mieux me comprendre comme dégustateur!

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  3. Salut Claude,

    Je m'inscrit en faux face à cette affirmation:
    "Il me semble impossible d’être amateur de vins européens haut de gamme et en même temps de ne pouvoir tolérer ces arômes."

    Je n'ose pas t'expliquer cette position.

    Nicolas

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  4. Salut Nicolas,

    Prise en isolé cette phrase peut sembler excessive. C'est vrai. Je nuance toutefois mon point de vue dans les phrases suivantes. Pour résumer mieux ma pensée en une phrase, j'aurais dû écrire: "Il me semble impossible d'être pleinement amateur de vins européens haut de gamme et en même temps de ne pouvoir tolérer ces arômes. J'aurais même pu enlever la limitation européenne, car c'est vrai que les bretts n'ont pas de patrie, même si je persiste à croire que c'est bien plus ancré et prévalent en Europe.

    De plus, même en étant partiellement amateur de vins haut de gamme. Ça demeure un champ miné. Si l'argent n'est pas un facteur. Il n'y a pas de problème. On ouvre une bouteille déviante. C'est simple. On jette et on ouvre autre chose.

    Claude

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