mardi 9 septembre 2014

L'obssession de la feuille de tomate

Dans une petite montée de lait récente je m'insurgeais contre des propos de Claude Langlois, du Journal de Montréal, voulant qu'il était difficile de trouver un vin chilien qui n'était pas bretté. Celui-ci rajoutait qu'en plus d'être brettés, la plupart d'entre eux sentaient la feuille de tomate. Avec ironie j'avais noté que pour dire ça c'est qu'il devait avoir trop dégusté avec Jacques Benoît de La Presse. Voilà qu'aujourd'hui le père Benoît y va d'une autre crise virulente de feuille de tomate dans La Presse. Le tout doublé d'un autre accès de francocentrisme.

Vraiment, l'incompétence à propos des vins du Chili des chroniqueurs-vin québécois en fin de carrière est consternante. Ils ont passé leur vie à boire et aimer essentiellement du vin français et semblent être incapables d'ouvrir leurs horizons à autre chose. L'ignorance de Jacques Benoît par rapport aux vins du Chili est gênante. Quand on connaît si mal un sujet, on devrait s'abstenir d'en parler. J'ai fait une recherche sur internet, en français, en anglais et en espagnol avec les mots clés, vin, Chili, feuille de tomate ou plant de tomate. Le seul endroit où on parle des rouges du Chili et de feuilles de tomates, c'est en français et au Québec. C'est compréhensible, cette idée a été énoncée ici il y a longtemps par M. Benoît, qui ne peut parler des rouges du Chili sans ramener les feuilles de tomates à chaque fois, et quand je dis à chaque fois c'est bel et bien à chaque fois. Même quand il ne perçoit pas de feuille de tomate dans un vin chilien, il doit le mentionner et souligner son étonnement. Vraiment navrant.

En anglais on parle de "tomato leaf" pour décrire certains vins blancs de Sauvignon Blanc, du Chili ou d'ailleurs. Même chose en espagnol avec "hoja de tomate". En anglais et en espagnol on associe donc la feuille de tomate aux vins blancs d'un seul cépage. Le Sauvignon Blanc. Pourtant, M. Benoît nous dit dans son article n'avoir jamais rencontré ce "défaut" dans un blanc chilien. Il est sur ce sujet aux antipodes du reste de la planète. Comprenez-moi bien. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de vins rouges chiliens avec des notes de verdeur ou autre caractère végétal. Il y en a au Chili, et il y en a ailleurs. Ceci dit, il ne faut pas virer fou avec ça, en faire une fixation et tout confondre. Si M. Benoît s'excitait et voyait un défaut face à chaque vin de Bordeaux ou de la Loire qui présente des arômes de poivron vert, il n'aurait pas fini d'écrire. Depuis quand les notes végétales ou de verdeur sont-elles systématiquement mauvaises dans le vin rouge? Comme bien des choses c'est une question de dosage et de goût. Il faut aussi savoir de quoi on parle. En réalité, ce que M. Benoît appelle feuille de tomate est limité, selon mon expérience, à certains vins de cépages bordelais, en particulier de Cabernet Sauvignon. Je n'ai jamais rencontré ces arômes dans un Pinot ou une Syrah, même chose pour le poivron vert, au Chili, en France ou ailleurs. Toujours est-il que le Cabernet chilien a la particularité de présenter des arômes de cassis frais souvent très prononcés, surtout en prime jeunesse. Hors, l'arôme de cassis est une molécule soufrée, un thiol, tout comme le bourgeon de cassis, le groseille et c'est aussi le cas de la molécule qu'on associe à la feuille de tomate dans le Sauvignon Blanc. Ce sont des arômes de la même famille qui présentent des similarités. L'arôme de cassis frais a la particularité de présenter une composante à la fois fruitée et végétale. Goûtez et sentez du cassis frais et vous allez comprendre ce que je veux dire. Même dans le cassis bien mûr, il reste un certain niveau de la molécule qui donne le côté végétal au bourgeon de cassis.

J'ignore si l'odorat de M. Benoît montre un profil de sensibilité qui occulte l'aspect fruité de ce cassis pour ne percevoir que l'aspect végétal. C'est possible. Chaque personne possède une sensibilité olfactive qui lui est propre. Ceci dit, une chose est sûre, avec sa fixation sur la feuille de tomate, et la détestation qu'il en a, il est un cas à part, bien qu'il ait fait des disciples au Québec. Il y a eu au Royaume-Uni une controverse il y quelques années à propos des vins sud-africains. Une chroniqueuse-vin pour le Times de Londres, Jane MacQuitty, avait décrété que la moitié des rouges de ce pays étaient affectés par un arôme de caoutchouc brûlé. Cela avait fait assez de bruit, et une simple recherche Google permet de trouver de très nombreuses références sur le sujet. Bien sûr, les producteurs sud-africains furent offusqués des propos de Jane MacQuitty et les avis sur la réalité du problème étaient partagés. Peut-être y avait-il un problème. Je n'ai pas assez d'expérience avec les rouges d'Afrique du Sud pour porter un jugement valide sur le sujet, mais dans ma courte expérience des vins de ce pays je n'ai jamais noté ce problème. Ceci dit, même si problème il y avait, ou il y a toujours, il est clair que ça ne touchait pas la moitié des vins rouges d'Afrique du Sud.

Pour revenir au Québec et à la fixation de Jacques Benoît. Il est clair que celui-ci, probablement par ignorance, y va d'une délirante généralisation. Il a frappé un vin chilien très vert un jour et ça l'a marqué. Aussi, l'exemple du supposé caoutchouc brûlé sud-africain est éloquent. S'il y a eu une telle controverse à ce propos. Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi il n'y en a pas à propos de la feuille de tomate et des rouges chiliens. Si cela est si répandu et si abominable, pourquoi n'y a-t-il qu'au Québec où l'on parle de ce supposé terrible phénomène? L'odorat des gens hors Québec serait-il systématiquement insensible à cet arôme? Bien sûr que non. Les rouges chiliens sont souvent distinctifs, c'est vrai, mais en même temps la variété de styles n'a jamais été aussi grande. Ramener cette histoire de feuille de tomate à chaque fois qu'on parle des vins de ce pays est totalement aberrant. Surtout quand on écrit dans un grand quotidien comme La Presse. Personnellement, comme amateur des vins de ce pays, et blogueur qui tente de mieux les faire connaître, je trouve ça très frustrant. On peut ne pas aimer un vin donné et l'écrire en expliquant pourquoi, mais revenir systématiquement avec une idée qui n'est documentée nulle part ailleurs dans le monde est vraiment absurde. J'ai rencontré plusieurs chiliens au cours des dernières années lors des dégustations annuelles de Vins du Chili. J'ai vu les efforts investis pour tenter de faire connaître, comprendre et aimer les vins de ce pays. Dans ce contexte, c'est vraiment frustrant de voir le doyen des chroniqueurs-vin au Québec, un homme avec une tribune importante et influente, annihiler une partie de ces efforts en répétant ad nauseam une idée fixe au lieu de parler de la véritable réalité de la scène vinicole très dynamique de ce pays.

1 commentaire:

  1. Je l'avoue, c'est avec un sourire en coin que j'ai lu sur le site Vin Québec les résultats d'une dégustation de vins de cépages bordelais organisée par l'Académie des vins de l'Outaouais.

    Le vin préféré de l'ensemble des dégustateurs fut le Casa Real, 1999, de Santa Rita. Voilà finalement un producteur 100% chilien qui sait y faire. Pas de notes de feuilles de tomate dans ce vin semble-t-il...

    Pour quelqu'un comme moi qui se tue à vanter les mérites des vins du Chili et le potentiel de garde de ses vins rouges, je dois avouer que ce résultat n'est pas surprenant, mais bien satisfaisant. Vive la dégustation à l'aveugle!!! Une petite secousse sur l'édifice francocentriste québécois.

    Marc-André Gagnon est une de ces plumes québécoises qui n'aiment pas vraiment les vins du Chili, c'est son droit, alors c'est honnête de sa part de rapporter ce résultat, et je peux le rassurer, les chiliens n'ont pas oublié depuis 1999 comment faire de grands vins. Bien sûr, si le gagnant avait été français, la question n'aurait pas été posée.

    C'est drôle, il semble que le Chili ne peut jamais s'en sortir totalement indemne. D'un côté Jacques Benoît nous dit que le Chili peut finalement faire mieux, grâce au savoir-faire français et M. Gagnon a peur que les chiliens de Santa Rita aient perdu la recette du grand vin en cours de route depuis 1999...

    Claude


    http://vinquebec.com/node/11985



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