lundi 21 mai 2012

Les critiques de vins québécois sont-ils en phase avec le consommateur moyen?


Je lisais récemment sur Vin Québec un article où on déplorait le fait que la SAQ préfère référer des critiques étrangers pour promouvoir ses vins plutôt que des critiques locaux. Cette lecture m'a rappelé deux de mes textes (ici et ici) où je dénonçais le francocentrisme prévalant dans le milieu québécois du vin, et en particulier chez les critiques qui traitent de ce sujet. 18 mois plus tard, après l'affaire Suckling, je pense que mon constat d'alors tient toujours. Pour les critiques québécois, il y a la France, ensuite le reste de l'Europe, la Californie, parce que c'est glamour, et finalement le reste du Nouveau-Monde. J'ai lu ce qui s'est écrit dernièrement à propos de l'offre australienne du Courrier Vinicole, ainsi que l'offre axée sur l'hémisphère sud du magazine CELLIER de la SAQ. Force m'est de constater qu'on ne parle pas de ces vins de la même façon qu'à propos de leurs contreparties européennes. Les comparaisons avec la France sont très fréquentes et rarement avantageuses, des traits de terroirs (eucalyptus) sont décrits comme des défauts, et tout à coup le rapport qualité/prix devient important, seulement pour être dénoncé comme désavantageux...

Pour quelqu'un comme moi qui a choisi d'aborder le monde du vin à partir d'un pôle différent, la lecture de propos du genre est déprimante. La méconnaissance des vins du Nouveau-Monde de la part de plusieurs critiques québécois, et surtout l'incapacité d'en traiter comme des entités valides et autonomes, contrastent avec ce qu'on retrouve dans le monde anglo-saxon. Cela explique peut-être en partie ce pourquoi la SAQ préfère référer à des critiques de ces pays, même pour des vins italiens. Je déteste le système de notation sur 100 issu des États-Unis, mais d'un autre côté, lorsque je lis les commentaires de ces critiques, j'ai l'impression de façon générale que pour eux le monde du vin n'est pas centré en un endroit particulier. Il y a une reconnaissance du rôle fondateur de l'Europe, mais tout ne se décode pas à partir de ce point de vue et les particularités du Nouveau-Monde sont perçues comme légitimes.

Quand je lisais l'article de Vin Québec où on s'insurgeait contre l'absence de références à des critiques québécois, en arguant que ceux-ci préfèrent les vins plus acides et moins sucrés, contrairement, supposément, aux critiques américains. J'avoue que j'ai été estomaqué. Si le palais des critiques d'un pays devait être fidèle à celui de sa population, alors le palais des critiques québécois devrait aimer les vins peu acides et sucrés. Il ne faut pas oublier que le meilleur vendeur de la SAQ est un vin rouge demi-doux, le Ménage à Trois, et que des vins de Vénétie avec un bon taux de sucres résiduels y connaissent aussi beaucoup de succès. J'ai beau analyser la liste de 25 meilleurs vendeurs à la SAQ, mais j'ai de la difficulté à y retrouver des exemples évidents de vins européens très secs. Il ne faut pas oublier que les Québécois sont des nord-américains d'abord et avant tout. Alors s'il est vrai que notre continent a le goût sucré, alors nous devrions être du nombre. Et s'il est vrai que la critique québécoise déteste ce genre de vin, alors c'est que son influence est limitée à un cercle d'initiés.

Mon but avec ce texte n'est pas de faire l'apologie du vin sucré et peu acide, qu'il soit du monde nouveau ou de l'ancien. Ceci dit je pense que la douceur et la faible acidité sont des éléments légitimes dans certains types de vins. C'est une question de choix stylistique et pas un élément déterminant du niveau qualitatif. Je pense aussi qu'au lieu d'accuser les critiques anglo-saxons, d'avoir le palais sucré, il faudrait peut-être se demander s'ils n'ont pas plutôt un palais plus complet. Un palais ouvert à une palette stylistique plus large. Bien sûr il y a des raisons culturelles et historiques pour expliquer cette situation, mais le Québec n'est pas la France. L'offre de vins du monde entier est beaucoup plus grande au Québec et il serait temps que la critique s'y adapte. Je sais qu'il est difficile de changer les goûts longuement acquis et les convictions qui viennent avec. Mais à mon avis il y a un réel décalage au Québec francophone entre ceux qui ont une tribune importante pour traiter de vin et la majorité de ceux qui le boivent.



2 commentaires:

  1. Salut Claude
    J'aime beaucoup ton blog et tes commentaires et là je dois dire que je ne suis pas d'accord avec tes affirmations. Même si les québécois se sont ouverts aux vins et que maintenant c'est ce qu'ils boivent au quotidien,une grande majorité d'entre eux ne connaissent absolument rien au vin.
    Nous savons tous que les anglos saxons sont très aggressifs au niveau marketing,(américains,australiens) avec des moyens financiers importants, ils pourraient vendre de la crème glacée aux inuits. Il faut juste entrer dans une SAQ pour immédiatement être attirés par ses vins ,ménages à trois que tu donnes par example, et tous ses vins doux et sucrés que tu parles. Le marketing des anglos saxons n'a rien à voir avec le goût mais une standardisation du goût et les québécois font comme tout le monde et tombe dans le panneau.Je te ferai remarquer que des grands critiques anglos saxons comme Jancis Robinson, Spurrier, Hugh Johnson disent que la France est toujours la mecque du vin. Pour ma part je crois qu'un bon vin est question d'équilibre et qu'il y a de très bons vins équilibrés partout dans le monde mais les vins français sont encore ceux qui m'ont donnés les plus grandes satisfactions. Et je crois que les critiques ici en générales font la part des choses. Richard Gagnon St-Fabien

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  2. Bonsoir M. Gagnon,

    Vous avez parfaitement le droit d'être en désaccord avec moi. Le but de mon texte n'était pas de dénigrer le vin français et la grande connaissance qu'en ont les critiques québécois. Je déplore plutôt leur manque de connaissance et d'ouverture face aux vins Nouveau-Monde. Je parle de façon générale, bien sûr.

    Je déplore leur incapacité à aborder ces vins de façon autonome. Je leur reproche de tout ramener au modèle européen, principalement français. Un critique généraliste œuvrant dans un grand média devrait pouvoir parler d'un vin en fonction de son origine et non en fonction de l'endroit d'où il ne provient pas.

    La mentalité européenne en matière de vin en est une où la hiérachisation des terroirs est importante et avec ceux qui adhèrent à cette mentalité, on a souvent l'impression que le Nouveau-Monde est un bloc homogène qui ne cadre même pas dans la hiérarchie. Il est traité à part, comme une curiosité agaçante, non conforme.

    Pour ce qui est du goût du consommateur moyen. Je trouve regrettable de le dénigrer. De le voir comme quelque chose à corriger. S'il est vrai que le goût est quelque chose qui se développe, c'est aussi quelque chose qu'on peut formater. Ce que je déplore, c'est que trop de critiques québécois ont le goût formaté selon des standards classiques européens et ne sont pas capables de s'en extirper. Le vin est aujourd'hui en constante évolution et le Nouveau-Monde joue un rôle de premier plan dans cet élargissement des cadres. J'aimerais lire des gens qui peuvent en rendre compte avec la perspective nécessaire.

    Claude

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