jeudi 16 février 2012

Magazine CELLIER et vins de Cabernet Sauvignon


Ne fréquentant pas les succursales de la SAQ ces derniers temps, ni son site web, c'est par la poste que j'ai reçu aujourd'hui ma copie du dernier magazine CELLIER de la SAQ. Celui-ci est toujours aussi bien fait et c'est avec intérêt que j'y ai lu les résultats d'une dégustation en semi-aveugle de vins de Cabernet Sauvignon venant d'un peu partout au monde. Encore une fois, l'effet du mode aveugle a mis à mal la corrélation entre prix et qualité perçue. Le Gran Coronas de Torres faisant jeu égal avec le Mas La Plana, et le Marquès de Casa Concha de Concha y Toro faisant de même avec le Don Melchor. J'ai souvent écrit que le Marquès de Casa Concha n'était pas loin derrière le Don Melchor et que c'était tout un achat à 20$, pour qui aime les Cabs chiliens, en particulier ceux de l'Alto Maipo. Toutefois, sans surprises, le panel de dégustation n'a pas très bien coté les vins du Chili de cette dégustation. Comme on le sait, ces jeunes vins sont parmi les plus typés qui existent et sont donc assez facilement identifiables à l'aveugle. Pour preuve, on mentionne même dans les commentaires que le mieux coté des vins chiliens, le Cuvée Alexandre, 2009, de Casa Lapostolle, n'a pas été reconnu comme chilien par aucun des dégustateurs. Cela explique probablement son rang relativement favorable par rapport aux cinq autres vins chiliens dégustés... Résultats sans surprises donc, mais je suis déçu de la mise en contexte. On justifie l'absence de bordeaux dans cette sélection par le caractère peu abordable de si jeunes vins issus de cette région. Toutefois, ça ne semble pas poser problème pour les Cabs du reste du monde, même si on mentionne à la toute fin que les meilleurs Cabs d'Italie, de Californie et d'Espagne peuvent gagner à reposer quelques années en cave. Encore une fois, et toujours sans surprise, silence radio sur le potentiel de garde des Cabs chiliens.

Les idées reçues en matière de vin sont fermement incrustées au Québec, et ça inclut l'idée de ce qui est supposé être bon. On nous ressort continuellement les mêmes clichés et lieux communs, sans l'ombre d'une vision le moindrement différente des choses. Le conformisme règne en maître dans les grands médias. Pourtant, je trouve que les Cabernets chiliens, en particulier ceux de l'Alto Maipo, ont cette qualité importante d'être distinctifs. Ils ne sont pas des copies de ce qui se fait ailleurs et l'empreinte du terroir y est très marquée, surtout sur des vins jeunes. La distinction est pourtant considérée comme une qualité en matière de vin, mais dans le cas des Cabernets chiliens, plusieurs y décrètent plutôt un défaut. Pourtant, je ne suis pas le seul à penser autrement. Je lisais dernièrement les commentaires du réputé œnologue australien Brian Croser à propos du Cabernet Sauvignon chilien. Celui-ci est fondateur de la réputée maison Petaluma et œuvre maintenant chez Tapanappa, tout en étant consultant pour la maison Santa Rita au Chili. Voici ce qu'il disait récemment à propos du Cab chilien :

“Chilean Cabernet Sauvignon is completely unique and can’t be replicated. Its unmistakable Cabernet nature is a real advantage for Chile, and a strength to build upon. The best examples are subliminal, with grainy tannins that impart a savoury note on the finish. Chile has recognised the challenge of the Cabernet varieties and the unusually high diurnal range of the terroirs and continues to refine the vineyard management with preveraison leaf stripping and other treatments, creating some of the world’s most unique and distinctive Cabernets with subliminal briarines and evolved savoury tannins.”

Voilà qui est réconfortant à lire pour quelqu'un comme moi. Si je me fiais à nos palais médiatiques québécois, il y a longtemps que je considérerais mon goût comme déréglé, ou bien je me serais finalement conformé aux diktats du "vrai goût". M. Croser a aussi dit que les chiliens ont encore du chemin à faire pour apprivoiser les tanins de ce cépage. Voilà qui diffère de l'idée voulant que les Cabs chiliens soient parfaitement prêts à boire en prime jeunesse. Pour ma part, je trouve que la garde prolongée est encore le meilleur moyen de prendre soin de ces tanins de jeunesse souvent imposants. Le problème, c'est qu'à peu près personne n'associe Cabernet du Chili et vin de garde. Disons que la dégustation et le texte du magazine CELLIER n'auront rien fait pour changer les choses. Belle occasion ratée. Dommage. Il y a pourtant du Don Melchor, 1995, 1997, 1999, 2000, 2004 et 2005 actuellement sur les tablettes de la SAQ, mais on aura plutôt préféré y mettre le plus jeune de tous, le 2006...


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11 commentaires:

  1. J'ai ajouté dans mon texte un lien vers un texte éclairant du Wine Enthusiast à propos de l'Alto Maipo et de sa relation privilégiée avec le Cabernet Sauvignon.

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  2. Salut Claude,

    Primo, bien content de retrouver ta plume. Selon moi, le problème viens de la disponibilité de vins plus mature.

    Depuis que je te lis, j'ai ré-appris à apprécier les vins chiliens. Dans le cas des Cab, selon mes goûts, je les aimes effectivement plus vieux; généralement ayant 5-8 ans de repos. Sans tes commentaires je n'aurais peut-être pas attendu aussi longtemps afin de les apprécier aujourd'hui.

    Naturellement, Pour M/Mme tout-le-monde, leurs guides ce sont les chroniqueurs. Mais il est vraiment plate de lire une chronique ventant tel ou tel produit et qu'ils ne soit pas disponible en succursale. C'est souvent le reproche que les amateur faisaient au guide Phaneuf.

    La plupart des produits chiliens disponible; ils sont de millésimes courant. (Sauf quelques rare exception comme les Melchor). Alors il n'en parle que très rarement. Par contre, l'inventaire d'espagnoles, d'italiens et naturellement français déjà vieilli est plus grands, et du coup déjà reconnu. Le consommateur moyen, ne garde que très peu de stock en cave et généralement pour une courte garde; il est alors limité dans ces choix. C'est un cercle vicieux; le consommateur ne connait pas le potentiel de garde, les producteurs chilien n'envoient que des millésimes récent pour ne pas à avoir à financer les inventaires, la SAQ n'en demande pas car la demande n'y est pas et finalement, les chroniqueur n'en parle pas car il n'y en a pas de disponible.

    D'ailleurs, on prend pour acquis que nos chroniqueurs sont aux courant du potentiel de vieillissement des chiliens.

    Bon, c'est peut-être simpliste comme raisonnement, et comme nous ne sommes pas nécessairement la clientèle cible de la SAQ, ça ouvre la porte à une autre théorie...

    Thomas

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  3. Salut Thomas,

    La disponibilité des rouges chiliens plus âgés est un réel problème, mais pour les Melchors, le choix était là. Ceci dit, pour moi cela va au-delà de cela. C'est un problème de mentalité voulant que le vin de garde est surtout européen. J'ai aussi participé à suffisamment de dégustations pour connaître la réaction des europhiles dès qu'un jeune chilien est détecté à l'aveugle. L'arrêt de mort est signé sur le champ dans la plupart des cas, sans se creuser plus la tête pour tenter de voir plus loin. Je n'avais pas besoin d'être à la dégustation du magazine CELLIER pour comprendre ce qui s'y est passé. Surtout que j'ai déjà dégusté avec certains des membres du panel. Ce sont pour la plupart des gens que j'estime, de vrais passionnés, mais la particularité chilienne est loin dans leur esprit. Ce sont essentiellement des europhiles, et même francophiles, et le monde du vin se décode pour eux de ce point de vue. Mon point de vue est différent et c'est pourquoi je tiens un blogue.

    Claude

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  4. "Le conformisme règne en maître dans les grands médias".

    C'est pour cela que toi, moi et quelques autres "fous du vin" sont là et écrivent leur chronique virtuelle mon cher Claude; pour donner un nouvel éclairage sur les possibilités mal connues(ou mal comprises) que recèlent le vaste domaine viticole mondial.

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  5. Salut Yves,

    Pour ma part je ne m'illusionne pas sur l'influence réelle et possible de mon blogue. Je sais que certains professionnels du vin viennent parfois y jeter un oeil. Mais je ne pense pas que ça change vraiment leur vision des choses. De toute façon un professionnel ne pourrait pas prôner une approche aussi restrictive et terre à terre que la mienne. L'amateur de vin moyen s'intéresse à ce sujet en partie pour l'imaginaire qu'on peut y rattacher. Dans ces circonstances aller à contresens de la tradition et du côté prestigieux associé au vin, ce n'est pas vraiment gagnant. Ça demeure un milieu où vendre une part de rêve fait partie de la description de tâche.

    Claude

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  6. J'ai remis les pieds dans une succursale de la SAQ aujourd'hui pour la première fois depuis longtemps, attiré par la promotion à 10% de rabais. J'ai souri en entendant un conseiller dire à un client un peu novice qu'il ne lui servait à rien d'acheter des bourgognes, car même les moins chers ont besoin de plusieurs années en cave pour être à leur mieux. Il décréta ensuite qu'il était préférable pour lui de favoriser le Nouveau-Monde car ces vins sont prêts à boire dès l'achat. Le client a semblé apprécié le conseil, en ajoutant qu'il n'avait pas le temps de garder du vin...

    Ce n'est bien sûr qu'une anecdote. Mais ce qui est aberrant dans celle-ci, c'est qu'elle ne fait pas justice au Nouveau-Monde, ni à la Bourgogne. Bien sûr, les propos de ce conseiller étaient très caricaturaux, mais en même temps, pour moi, ils reflétaient sans nuances une mentalité assez répandue chez nous. Je pense bien qu'il est loin le jour où j'entendrai un conseiller de la SAQ recommander un Cab chilien à 20$ en disant qu'il sera à son meilleur après 10 ans de garde...

    Claude

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    1. Claude, on voit le même genre de conseils ridicules avec les Bordeaux qui sont reconnus comme étant des vins de garde entre tous. Le client dit qu'il veut une "belle bouteille" pour le soir même et le conseiller lui sort un Lagrange 2005 qui sera prêt en 2020 !!! Le client déçu d'avoir payé 60$+ va dire que c'est de l'mar... les vins français et va se tourner vers le nouveau monde et certaines fruit-bomb ! AMHA, les 2 avenues sont perdantes encore dans mon exemple...

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  7. Anonyme,

    Ce qui m'embête, c'est le double standard entre Nouveau-Monde et Europe. Je pense que des vins robustes peuvent être bus en jeunesse et être appréciés pour ce qu'ils sont si on est dans un état d'esprit favorable à ce style à ce moment-là. Je bois encore beaucoup de vins trop jeunes car ma cave n'a pas la profondeur nécessaire pour me fournir en vins plus âgés sur une base régulière. Je dis vins trop jeunes par rapport à mon idéal personnel, mais ces jeunes vins peuvent quand même me donner du plaisir. Encore une fois, ce qui me dérange, c'est le double standard et celui-ci découle d'une méconnaissance du potentiel de garde des vins du Nouveau-Monde. C'est pour ça que la dégustation du magazine CELLIER m'a fait réagir. On y répétait les mêmes clichés au lieu de faire œuvre éducative. Après ça il ne faut pas s'étonner du discours des conseillers en succursale.

    Claude

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  8. Lu sur le forum Fou du Vin de la part de Marc Chapleau, le rédacteur en chef du magazine CELLIER:

    "Nous sommes par ailleurs à mettre la dernière main à l'édition de mai, qui portera sur les vins de l'hémisphère sud : Chili, Argentine et aussi Australie, dont je reviens à peine et dont j'ai rapporté quelques anecdotes qui, je l'espère, vous feront au moins sourire..."

    Des anecdotes qui feront sourire. Je suis peut-être parano, mais il me semble que les sourires seront plus moqueurs qu'admiratifs. Le ton semble donné, espérons que je me trompe...

    Claude

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    1. Bonjour Claude,

      Vous êtes un peu parano, je crois, oui, si je peux me permettre. Je viens de boire en mangeant quelques verres de Sideral 2006, d'Altaïr. Un peu trop boisé, un peu gros mais j'aime bien, la fraîcheur est là néanmoins.

      Par ailleurs, s'il n'y avait pas de bordeaux dans le match comparatif du dernier Cellier, c'est surtout que les vins là-bas contenant autour de 80 % de cabernet-sauvignon ne sont pas légion, ou sinon ils sont plutôt chers et donc, pour cette raison, hors compétition dans le contexte de la dégustation que nous avons organisée.

      Marc Chapleau

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  9. Bonsoir M. Chapleau,

    Content d'apprendre que c'est ma paranoïa qui est en cause. Je tente de me soigner, mais je résiste un peu au traitement... En espérant que la prochaine édition de votre magazine aidera mon processus de guérison. La thérapie par le rire ça fonctionne bien à ce qu'on dit. J'ai donc hâte de sourire en lisant vos fameuses anecdotes. J'ai aussi hâte de lire les textes de cette prochaine édition de CELLIER. Si je vous comprend bien on y traitera des pays de l'hémisphère sud de façon positive, avec une mise en contexte adéquate et en ne comparant pas toujours avec l'Europe.

    Pour ce qui est de votre match comparatif, les explications que vous me donnez maintenant ont du sens. C'est juste dommage qu'elles ne se soient pas retrouvées dans le texte inclut dans le magazine. Finalement, je ne suis pas surpris que le Sideral 2006 soit à ce stade encore trop boisé et un peu mal dégrossi. Je suis toutefois convaincu que dans 10 ans il vous jetterais sur le cul par sa finesse, son élégance et son caractère bordelais. C'est pourquoi les explications du texte original concernant l'exclusion des bordeaux étaient pour moi frustrantes. Le temps en bouteille n'est pas bénéfique qu'aux bordeaux. Une meilleure connaissance du potentiel de garde des vins du Nouveau-Monde aurait permis une meilleure mise en contexte. Je ne parle pas juste des vins chiliens, il y a des gens que j'estime qui ne jurent que par le potentiel des californiens. Ceci dit, et pour parler de ce que je connais le mieux, j'ai trop vu de jeunes rouges chiliens se faire assassiner dans des dégustations à l'aveugle, souvent parce qu'ils avaient été facilement reconnus comme tels, mais aussi parce que comme pour votre Sideral, ils étaient jugés trop boisés et manquant de finesse. Pour ce qui est des rouges chiliens plus âgés, c'est très différent. Je ne compte plus les fois où, toujours à l'aveugle, de tels vins ont médusé des dégustateurs europhiles très expérimentés. Disons que ce type d'expérience contribue un peu à ma paranoïa. Il faut m'en excuser.

    Claude

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