samedi 26 janvier 2013

Brettanomyces: Le caractère non assumé

Retour sur l'article de Vin Québec qui relate une nouvelle étude de UC Davis qui permettrait de jeter un nouveau regard sur le rôle controversé des levures Brettanomyces dans le profil aromatique d'un grand nombre de vins. J'ai pris le temps de lire tous les documents référencés dans l'article de Vin Québec, et selon moi la méthodologie utilisée ne tient pas la route et les conclusions avancées sont simplement invalides. De plus, dans les documents mêmes des chercheurs il y a trois éléments qui discréditent la méthodologie utilisée. Le premier, et le plus important, étant que les souches de Brettanomyces sont imprévisibles du point de vue métabolique. Les métabolites qu'elles peuvent produire peuvent changer dramatiquement dans le temps pour des raisons inexpliquées, comme si certaines voies métaboliques s'activaient et se désactivaient sans raisons apparentes. Dans ces conditions, il est très difficile de parler des caractéristiques métaboliques des différentes souches répertoriées. À ce sujet, il y a une grosse erreur dans le texte de Vin Québec. L'étude a dénombré 83 souches différentes de Brettanomyces, et non pas 83 arômes produits par ce type de levures. Le deuxième élément contradictoire étant qu'en conditions réelles de vinification, il y a la plupart du temps plusieurs souches différentes de Brettanomyces dans le même vin. Ce qui a pour effet d'atténuer la singularité d'une souche particulière, à un moment donné dans le temps, et de produire un profil "brettien" plus général. Le troisième élément mentionné par les chercheurs et remettant en cause leur méthodologie est le fait qu'un grand nombre de vin "brettés" contiennent aussi des bactéries lactiques vivantes. Ces micro-organismes peuvent aussi être la source d'arômes déviants. Les conditions ouvrant la porte à l'action des Bretts, l'ouvre aussi à d'autres micro-organismes secondaires nuisibles.

À la lumière de tous ces éléments, on peut donc voir que l'idée d'ensemencer un vin de Cabernet Sauvignon avec des souches uniques de Brettanomyces, cultivées en laboratoire, ne tient pas la route. Il manque des détails de procédure, mais ma compréhension est à l'effet que le vin de Cabernet Sauvignon ensemencé était un vin fini. Cette façon de faire ne reflète en rien la réalité où les Bretts ne sont pas ensemencées en souches uniques dans des vins dont l'élaboration est complétée. Dans la réalité il y a une variété génétique, et ce sont les conditions d'élaboration qui ouvrent la porte à la propagation, et donc, à l'action de ces levures. Tout cela en se rappelant le caractère variable et imprévisible de l'action métabolique des levures Brettanomyces, et en se rappelant aussi que l'action des Bretts est dépendante du contenu d'un vin en précurseurs aromatiques (acide coumarique, acide ferrulique, etc..). Dans ces conditions, il est impossible de prétendre qu'il y aurait des vins qui ne subiraient que l'influence de "bonnes" Bretts. Il est aussi intéressant de se rappeler que les chercheurs mentionnent que les 83 souches de Brettanomyces répertoriées produisent toutes du 4-Ethyl Phénol (4-EP) et du 4-Ethyl Gaiacol (4-EG), qui sont les molécules les plus associées au caractère négatif des Bretts. Cet autre élément montre bien que l'idée de "bonnes" Bretts est une création de l'esprit, et non une réalité. Autre point intéressant à noter, c'est que les chercheurs nomment les molécules négatives produites par les Bretts (4-EP, 4-EG, 4-EC, acide isovalérique, tetrahydropyridine, acide acétique), mais on ne mentionne pas de molécules positives pour expliquer un impact potentiellement favorable de certaines souches de Brettanomyces. Finalement, on mentionne aussi un point très important quand il est question du débat autour de ces levures, soit le fait qu'un certain nombre de dégustateurs sont insensibles, ou peu sensibles, aux molécules négatives produites par les Bretts. Dans ce cas ce serait comme demander à un daltonien d'être critique d'art visuel. Selon mon expérience de dégustation en groupe, il y a effectivement des dégustateurs insensibles au 4-EP, qui pour moi est l'élément caractéristique d'un vin « bretté ». Il y a aussi des dégustateurs qui ne savent pas c'est quoi. Ils n'ont aucune idée de ce qu'est un arôme phénolé dans le vin. Il y a aussi ceux qui savent reconnaître ces arômes, qui y sont sensibles et qui aiment ça. Ça sent le fumier, mais c'est bon! Tous les goûts sont dans la nature et je respecte ça lorsque c'est assumé. Ceci dit, je ne peux m'empêcher de penser que c'est un goût acquis, mais j'avoue que c'est là un préjugé de ma part.

Un autre élément très important dans ce débat, et c'est un élément qui va au delà des sensibilités et des goûts personnels, c'est celui du caractère uniformisateur des Bretts sur les vins qui en portent la marque. Un vin "bretté", c'est l'antithèse d'un vin de terroir car il y a un élément commun qu'on peut retrouver partout dans le monde vinicole. Le 4-Ethyl Phénol sent la même chose peu importe l'origine du vin. Seul le reste du profil aromatique du vin peut en altérer légèrement la perception. Alors il est totalement ridicule de parler de vins de terroir dans le cas des vins "brettés". Ceci dit, je conçois que certaines personnes aiment les vins de ce genre. Ce qui m'embête, c'est le caractère caché de la chose pour l'acheteur potentiel. Comment savoir si j'achète un vin donné, si celui-ci est marqué par l'action des Bretts? Ça demeure un petit secret de fabrique, ou bien c'est simplement l'ignorance du producteur qui est en cause. Peu importe, il est impossible de savoir avant l'achat à quoi on aura affaire, et parfois le vin ne montre pas de caractère "bretté" à l'achat, mais ça se développera avec le temps en bouteille, surtout si la bouteille passe du temps à des températures plus élevées que la température de garde traditionnelle. Cette température traditionnelle (12°C), établie en Europe, ayant probablement un lien avec l'instabilité microbiologique d'un bon nombre de vins de garde de ce continent. Certains aiment le caractère "bretté", mais pas trop quand même!...

Finalement, ma réflexion sur le sujet m'a amené à faire un parallèle entre les vins "brettés" et les fromages bleus. Dans les deux cas il y a un caractère aromatique marqué qui va au-delà du profil de base du produit. Le vin sans Brettanomyces bruxellensis, et le fromage sans Penicilium roqueforti goûtent totalement autre chose. Le goût distinctif vient de l'action métabolique du microrganisme sur le produit de base. Pour le cas du fromage, la donne est claire. Quand on achète un fromage bleu, on sait ce qu'on achète. Si on aime pas ou si on a jamais voulu acquérir ce goût, on peut facilement passer outre. Si la même chose pouvait exister avec les vins "brettés", il n'y aurait pas de problèmes. L'ennui, c'est que le monde du vin qu'on dits fins n'assume pas son usage des Bretts. Soit on nie le phénomène, soit on dit que les Bretts sont un composant naturel entrant dans l'élaboration du vin. Le style n'est pas assumé car il y a une connotation négative associée aux Bretts. Je pense bien que cette situation n'est pas à la veille de changer. L'idée de vin de terroir est plus charmante et vendeuse que celle d'un vin marqué par l'action particulière d'un micro-organisme.



2 commentaires:

  1. M. Gagnon de Vin Québec a corrigé son texte et parle maintenant de 63 odeurs causées par les Bretts. Je regrette, mais c'est encore inexact. Ces odeurs sont celles de la "roue des odeurs", mais ce ne sont pas des odeurs qu'on peut forcément associer aux Bretts et à 63 molécules différentes. Ce sont des perceptions de dégustateurs, pas des identifications de molécules aromatiques. Une même molécule sera décrite différemment pas différents dégustateurs. En d'autres termes il n'y a pas 63 molécules aromatiques produites par les Bretts et dont l'impact peut se faire sentir dans un vin. En ce sens, cette "roue des odeurs" est tout à fait trompeuse car elle laisse croire que les Bretts peuvent produire 63 molécules différentes en concentrations suffisantes pour être perçues dans un vin, alors que ce n'est pas le cas. C'est même très loin de la vérité. N'oubliez pas que dans un vin, les métabolites des levures Brettanomyces viennent s'ajouter de façon secondaire à la très grande quantité de molécules déjà produites lors de la fermentation alcoolique par les levures Saccharomyces. Donc, un métabolite de Bretts doit être très aromatique pour pouvoir avoir un impact sur le profil aromatique global du vin. C'est le cas du 4-EP, du 4-EG et de l'acide isovalérique, alors que pour d'autres composés moins aromatiques, il n'y aura pas d'impact perceptible. Cette étude déforme grossièrement la réalité.

    Claude

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  2. Voici un lien vers un article du Wine Spectator qui déplore aussi le côté caché du caractère bretté de certains vins.

    Claude

    http://www.winespectator.com/blogs/show/id/50077


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