dimanche 19 septembre 2010

Arômes de Brettanomyces, reflet du terroir?

Excusez-moi, mais je reviens encore une fois sur ce sujet controversé. J’y reviens car j’ai fait quelques lectures intéressantes à ce propos dernièrement. Dans un texte précédant, je disais que les Bretts étaient un sujet tabou dans le milieu. Dans un texte de Decanter consacré à ces fameuses levures, on compare cela au “Don’t ask, don’t tell” de l’armée américaine sur l’homosexualité!!! Toutefois, lorsque quelqu’un ose poser la question, certains producteurs seront assez honnêtes pour dire ce qu’ils pensent vraiment. C’est le cas de Jean-Louis Chave dans l’édition Été 2010 du magazine CELLIER de la SAQ. Je reproduis les propos honnêtes et révélateurs de M. Chave sur le sujet:

“On ne veut pas que la Syrah s’affirme dans nos rouges, on ne veut pas vous entendre dire: “Ça sent bon la Syrah ce vin-là”. C’est le terroir qu’on veut plutôt laisser parler. Or pour ça, il faut commencer par savoir que les Bretts ne sont pas toujours mauvaises, il ne faut pas les évacuer complètement. Le côté animal, s’il n’est pas trop marqué, moi je ne déteste pas. Mais certains ont mis en place tout un "process" pour les éliminer: filtration forte, augmentation des doses de soufre, raisins récoltés moins mûrs, etc. Or c’est dangereux cet interventionnisme à outrance, cela peut tuer la spécificité du vin.”

Le moins que je puisse dire, c’est vive la franchise. Si plus de producteurs parlaient avec autant de clarté, on saurait mieux à quoi s’en tenir par rapport à leurs vins. Personnellement, je trouve consternants les propos de M. Chave. Ils sont en totale opposition avec l’idée que je me fais d’un vin de terroir. Comment peut-on prétendre chercher à refléter le terroir dans ses vins quand on se fait une fierté d’effacer l’identité du cépage derrière un masque d’arômes phénolés? Honnêtement, cela dépasse mon entendement, surtout que les Bretts n’ont rien de spécifique au Rhône nord. Pour le reste, les propos de M. Chave sur ce qu’il appelle le “process” pour éliminer les Bretts sont tendancieux. Il omet le plus important. Pour éliminer les Bretts il faut d’abord et avant tout renforcer l’hygiène du chai et de l’équipement qui sert à élaborer le vin. C’est le point primordial. D’ailleurs, M. Chave est en contradiction dans ses propos, car il dit qu’il faut des Bretts, mais pas trop. J’aurais aimé qu’il explique comment il arrive à faire cela, car c’est lorsque les Bretts n’ont pas été éliminées au départ par une bonne hygiène qu’il faut augmenter les doses de soufre et filtrer pour les arrêter. J’aimerais donc savoir comment M. Chave arrêtent ses Bretts, comment il fait pour qu’elles ne produisent que la dose de phénol qu’il recherche pour “épicer” ses vins. J’aimerais aussi savoir comment il fait pour ne pas avoir de Bretts vivantes dans son vin en bouteille. A-t-il le don de commander à ces levures?!!! Au lieu de prétendre qu’il fait du meilleur vin, du vin de terroir, à cause qu’il n’évacue pas totalement les Bretts. Il aurait dû simplement dire qu’il aimait ces arômes dans ses vins. Il aurait dû assumer son choix stylistique et ne pas tenter de le justifier faussement par le terroir. D’ailleurs, j’ai toujours pensé qu’au delà du débat sur le caractère bon ou mauvais de ces arômes, ceux-ci nuisaient à l’expression du caractère spécifique d’un lieu, car ces levures se retrouvent partout dans le monde vinicole. D’ailleurs, dans l’article de Decanter que je cite en introduction, Adam Lee, propriétaire et “winemaker” de Siduri Wines, à Sonoma en Californie, déclare:

“Comme consommateur et “winemaker”, je ne suis pas un partisan des Bretts, parce que cela évacue du vin la réflexion du terroir... Les Bretts de la vallée du Rhône goûtent essentiellement la même chose que les Bretts de Barossa, ou Paso Robles. Une des raisons principales pour boire du vin, est de goûter le reflet d’un lieu, et je suis fortement déçu quand cela est compromis par les Bretts. Nous faisons tout ce que nous pouvons ici pour éviter d’avoir des Bretts dans nos installations et dans nos vins, et jusqu’à maintenant nous avons été très chanceux. Je ne suis juste pas un amateur de Bretts, que ce soit beaucoup, ou juste un peu. C’est un peu comme une femme qui dirait être un peu enceinte.”

Comme on peut le voir, M. Lee a une vision diamétralement opposée à celle de M. Chave. Deux mondes. Pour moi il est clair que les vins de terroir sont ceux qui ne sont pas masqués par des arômes de fermentations secondaires en cours d’élevage, ou en bouteille. Aussi, il est totalement faux de prétendre qu’il faille compromettre la qualité du vin pour éviter les Bretts. Il faut juste travailler plus fort, s’assurer de l’hygiène, et suivre ce qui se passe dans ses vins en cours d’élevage. Ceci dit, je respecte ceux qui aiment les arômes de Bretts, et les producteurs qui en veulent dans leurs vins. Je voudrais juste de la clarté sur le sujet, qu’on lève le tabou, et qu’on arrête les fausses justifications au nom du terroir. L'article de Decanter, se termine avec l'espoir qu'un jour les contre-étiquettes des vins informeront les consommateurs du caractère "bretté" d'un vin. J'avais aussi émis cet espoir en conclusion de mon texte précédant sur le sujet. Bien sûr, ça n'arrivera pas. Vaut mieux préserver le mystère et continuer de vanter les vertus du terroir.

http://publications.saq.com/doc/MagazineCellier/cellier_ete_fr/2010042901/1.html

http://www.decanter.com/people-and-places/wine-articles/485213/the-misunderstood-world-of-brettanomyces



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4 commentaires:

  1. Très bon papier Claude! Comme toi, je suis d'accord avec Adam Lee, et ne comprends pas trop les commentaires de Chave. Cela dit, comme Chave, je ne suis pas allergique à une petite dose de bretts. Mais les bretts peuvent se multiplier et gâcher une bouteille avec le temps ; je préfère donc l'approche prudente.

    Alexandre Trudel

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  2. Le site de Wine Spectator est accessible gratuitement jusqu'au 28 novembre. J'y ai trouvé un texte intéressant sur le blogue de James Molesworth à propos des Bretts. Les propos de M. Molesworth n'ont rien de surprenant. Celui-ci couvre le Rhône pour la revue. Il lui serait impossible d'accomplir ce travail s'il devait déclarer défectueux tous les vins de cette région montrant des arômes de Bretts. Toutefois, j'ai bien aimé l'intervention d'Adam Lee, le même winemaker que je citais dans mon texte ci-haut, où il met Molseworth face au fait que les Bretts masquent l'expression du terroir. Comme prévu, Molesworth n'a pas d'arguments valables à opposer, et répond à côté en disant qu'il a bien compris que les bretts n'exprimaient pas le terroir. C'est vrai que les Bretts n'expriment pas le terroir, mais ce n'est pas ce qu'Adam Lee lui a dit. Il lui a dit que celle-ci masquaient le terroir. C'est bien différent et plus problématique.


    http://www.winespectator.com/blogs/show/id/40387


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  3. J'ai vu que ce sujet avait ressurgi sur FDV. J'aimerais préciser que les arômes tertiaires d'évolution n'ont rien à voir avec des arômes de réduction. La réduction peut se retrouver dans des vins jeunes. Pas dans des vins plus âgés qui ont été soumis à l'oxydation lente du vieillissement. Du point de vue chimique, l'oxydation et la réduction sont des processus inverses. En fait, la réduction dans le vin n'existe pas. Ce qu'on appelle réduction en jeunesse est un état de sous oxydation qui dépend des méthodes d'élaboration. En d'autres termes, on dira d'un vin qu'il est réduit, celui qui n'aura pas assez vu d'oxygène au cours de son élaboration pour être bu en jeunesse. Mais avec le temps en bouteille, cette oxydation aura lieu. De plus, les arômes brettés (phénolés) et réduits (souffrés), ont très peu en commun pour moi. On ne parle pas de la même chose, et la pseudo réduction est souvent une excuse pour ne pas dire qu'un vin est bretté ou microbiologiquement déviant.

    Claude

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